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L'effectivité des droits de l'enfant en Cote d'Ivoire


par Arsène NENI BI
Université Jean Moulin Lyon 3 - Doctorat en droit public 2018
  

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B. UN FONCTIONNEMENT INSTITUTIONNEL PLUS EFFICACE

Cette redynamisation du cadre institutionnel passe par le renforcement des compétences par les formations initiales et continues (1), la nécessaire amélioration du système de prestation de services (2) et une nécessaire mise en place d'un système d'information, de suivi et évaluation en matière de protection de l'enfant (3).

1. Le renforcement des compétences par les formations initiale et continue

Les ressources humaines chargées de la protection de l'enfant devraient disposer des capacités nécessaires pour exécuter leurs rôles. Pour ce faire, il apparait nécessaire de

1638 CONSEIL SECTORIEL DES RESSOURCES HUMAINES DES SERVICES DE GARDE A L'ENFANCE, Normes professionnelles des gestionnaires de services de garde à l'enfance, 2013, Ottawa, p.16.

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renforcer les capacités et compétences1639des ressources humaines chargées de la protection de l'enfant.

De par leur formation, tous les personnels de l'administration publique1640 ou du secteur privé qui exercent au service ou en contact avec des enfants dans les domaines de la sécurité, de la santé, de l'éducation, de l'action sociale, des sports et loisirs, du travail et dans tout autre service public doivent être en mesure d'assumer les responsabilités générales par rapport au bien-être et à la sécurité des enfants qui dérivent de leur fonction publique1641.

Ainsi, la formation initiale et continue des professionnels des services orientés vers les enfants devrait être axée autour de :

- La nécessité d'un traitement des enfants avec respect et dignité1642 en toutes circonstances et l'instauration progressive d'une culture de conduites et pratiques dénuées de toute forme de maltraitance et abus ;

- L'instauration d'actions préventives de lutte contre la violence touchant les enfants. Deux axes majeurs pourraient être considérés : d'une part, donner des conseils aux parents et aux responsables sur le bien-être général de l'enfant et sur les potentiels risques à éviter. Pour des situations délicates, les acteurs de la protection de l'enfant devraient être assez outillés afin de fournir des informations et orientations aux parents et responsables sur les services disponibles pour un conseil adapté et/ou une éventuelle prise en charge ; d'autre part, l'information et la sensibilisation des enfants relativement à des questions de protection.

- La détection : Ici, la formation des acteurs de la protection devrait accorder une importance particulière sur l'état de bien-être général des enfants et la capacité de détecter

1639 CONSEIL SECTORIEL DES RESSOURCES HUMAINES DES SERVICES DE GARDE A L'ENFANCE, Normes professionnelles des gestionnaires de services de garde à l'enfance, 2013, Ottawa, p.38. ; UNESCO- SECTEUR DE L'EDUCATION, Principes du renforcement des capacités en planification des politiques éducatives et en gestion des ressources, Paris, 2013, p-33-68.

1640 GARAS (F.), La sélection des cadres administratifs, contribution à l'étude de la réforme de l'Etat, Thèse de doctorat, Université de Poitiers, 1936, p.5.

1641 N'DAH (P-A.), Modernisation de l'Etat africain, Abidjan, Les éditions du CERAP, 2003, p.60.

1642 NEIRINCK (C.), « La dignité humaine ou le mauvais usage juridique d'une notion philosophique. » In. P. PEDROT (dir.) Ethique, Droit et dignité de la personne, Mélanges en l'honneur de Christian BOLZE, Economica, Paris, 1999, pp.39-50. ; HENNETTE-VAUCHEZ (S.), GIRARD (C.), JEANNIN (L.), LOISELLE (M.), ROMAN (D.), La dignité de la personne humaine : recherche sur un processus de juridicisation , PUF, 2005, 318p.

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les cas des enfants victimes1643 ou courant le risque d'être victimes de violation de leur intégrité physique et émotionnelle ;

- L'obligation et la procédure de signalement à leur responsable, à l'autorité1644 administrative1645, à la police, ou au procureur, ou au tribunal, des cas d'enfant en situation de risque sérieux ou de violence avérée.

Cette mise à niveau devrait être progressivement réalisée par le biais de programmes de formation continue et de formation initiale. Ces formations devraient être dispensées aux travailleurs sociaux, policiers, magistrats, enseignants, directeurs d'école, éducateurs, personnes travaillant dans des institutions pour enfants, travailleurs humanitaires, responsables d'activités de jeunesse et sports.

De même, un programme de formation continue devrait être élaboré à l'intention des responsables et des travailleurs sociaux chargés de l'autorité administrative en matière de protection de l'enfant. Ce programme portera sur le développement de connaissances approfondies sur les droits de l'enfant, sur le cadre juridique et réglementaire, sur l'acquisition des compétences et aptitudes nécessaires à l'exécution des interventions de prévention, de détection et de prise en charge, sur les capacités d'impulser une dynamique nouvelle à la collaboration intersectorielle en matière de prévention et prise en charge, y compris la protection de remplacement, en particulier avec le secteur de la justice. Le programme inclura la gestion des difficultés personnelles, éthiques et juridiques de l'intervenant. Ce programme fera l'objet d'intégration progressive dans les programmes de formation initiale de ces professionnels1646.

De plus, un programme de formation continue conjointe des intervenants dans la protection de l'enfant au niveau local s'avère aussi important.

1643 BROWN (W.K), « Les évolutions positives de l'enfant vulnérable : présentation d'un cas de comportement délinquant », in L'enfant vulnérable/sous la dir. de E.J. ANTHONY et al. Paris : PUF, 1982, p.439-450. ; OIF-DIRECTION DE LA PAIX, DE LA DEMOCRATIE ET DES DROITS DE L'HOMME, Guide pratique, Entendre et accompagner l'enfant victime de violences, STIPA, Paris, 2015, 98p.

1644 KERNEIS (S.), Dictionnaire de la culture juridique, ALLAND (D.)& RIALS (S.) dir., PUF, 2003, p.111 et s.

1645 FORTAT (N.), Autorité et responsabilité administrative, thèse de doctorat-Université François-Rabellais, 2011, 497p.

1646 Ibid.

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Un programme de formation continue devrait être élaboré et mis en place. Il sera basé sur l'expérience directe qui favorise la formation interdisciplinaire et associe des domaines de l'action sociale1647, de la justice, de la santé, de la sécurité et de l'éducation et concourt à la définition d'un modèle d'intervention et au renforcement du réseau local. Chaque acteur doit être en mesure de comprendre et maitriser son propre rôle et les rôles des autres intervenants et des formes de coopération nécessaires dans la poursuite du but commun, la protection de l'enfant et de son intérêt supérieur.

Mises en application, ces propositions permettraient de doter la Côte d'Ivoire d'un nouveau type d'acteurs de protection de l'enfant qui serait véritablement qualifiés et disposeraient d'une importante culture en matière de protection de l'enfance. Il faudrait accompagner cette importante culture acquise à l'issue de ces formations, d'une nécessaire amélioration du système de prestation de services afin d'aboutir à une protection efficace des enfants.

2. La nécessaire amélioration du système de prestation de services

Il s'agira ici de mieux organiser et renforcer le système de prestation de services1648. Cela devrait permettre aux structures de prestation de services de disposer d'orientations et de moyens efficients et efficaces pour une prestation de services de qualité.

On le sait : en cas de violences commises à l'égard d'un enfant, l'une des obligations à la charge de l'Etat est l'obligation de facere1649ou encore obligation de faire. Pour y arriver, il devrait disposer de services dotés de l'autorité administrative de la protection de l'enfant.

1647 LAFORE (R.) et BORGETTO (M.), Droit de l'aide et de l'action sociale, Montchrestien, 5ème édition, 2004, p.54 ; BUISSON (C.), Justice et solidarité : pour une refondation philosophique de l'action sociale, thèse de doctorat de philosophie, 2009, p385 ; BARREYRE (J-Y), BOUQUET (B.), CHANTREAU (A.), LASSUS (P.) Sous la dir. de), Dictionnaire critique de l'action sociale , Paris, Bayard éditions,1995, p.26 ; HARDY (J-P), Guide de l'action sociale contre les exclusions, Paris, Dunod, 1999, p.9 ; ces différents ouvrages présentent l'action sociale comme étant un terme indéterminée et paradoxale : « Il n'y a pas de définition juridique et administrative de l'action sociale. Alors que l'aide sociale est constituée par un ensemble de « prestations », l'action sociale est un ensemble d'actions et de services visant au développement social et à la mise en oeuvre de solidarités ».

1648 DELPAL (B.) et LE COZ (G.), Contribution à la cartographie de l'action sociale, Rapport n° RM2006-125P Novembre 2006, pp.4-12

1649 PIGNARRE (G.), A la découverte de l'obligation de praestare-Pour une relecture de quelques articles du code civil, RTD Civ. 2001, p.41. ; ROLAND (H.), Lexique juridique des expressions latines, 6e édition, LexisNexis, 2014, p.111

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Au niveau opérationnel, l'autorité administrative de protection de l'enfant sera confiée aux structures d'action sociale existantes. Ces structures disposeront d'un mandat clair, de procédures de prise en charge et de personnels formés pour les mettre en oeuvre. L'autorité administrative de la protection de l'enfant incombera à la commune dans les localités où les structures d'action sociales déconcentrées ne sont pas représentées.

Les centres de protection spécialisée, les services de protection spécialisée au sein du centre social et la commune devront assurer la prestation des services de la protection spécialisée.

S'agissant des centres de protection spécialisée, ils se substitueront aux centres d'éducation actuellement existants. Ces nouveaux centres spécialisés auront la mission d'organiser les services et actions de détection et d'assurer la gestion des cas d'abus, violations, violences et exploitation touchant les enfants, en collaboration avec les autres secteurs impliqués. Les actions de prévention seront confiées aux services chargés de l'action sociale de base au sein du centre social.

Quant aux services de protection spécialisée au sein du centre social1650, ils seront organisés au sein des centres sociaux isolés pour assurer l'assistance aux enfants victimes dans les localités où il n'existera pas de centre de protection spécialisée à l'intérieur du complexe socio-éducatif. Le service de protection spécialisée sera chargé de la détection et de l'assistance aux enfants victimes de violations, les fonctions de prévention demeurant la responsabilité des services de l'action sociale de base.

Enfin, dans les localités privées d'un centre social ou d'un complexe socio-éducatif chaque commune désignera un fonctionnaire de la Mairie ayant la responsabilité de représenter l'autorité administrative de protection de l'enfant. A ce titre, ces chargés communaux de la protection spécialisée seront chargés d'assurer l'assistance aux enfants victimes de toute forme de violence, en collaboration avec les services de la justice et les autres intervenants publics ou privés dans la protection de l'enfant.

Le maillage de la protection spécialisée sur le territoire devrait être aussi serré que possible. De plus, cette couverture territoriale devrait être équitable, prendre en compte des

1650 MILLERAND (P.), Garantir les missions d'un centre social tout en développant son offre de services, Mémoire de l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, 2012, 110p ;

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critères de densité populationnelle et ne pas pénaliser les régions les plus éloignées. Des infrastructures adaptées, des moyens de fonctionnement, de communication et de déplacement devront enfin être mis à la disposition des services de protection spécialisée. Par ailleurs, ils devront être dotés des budgets nécessaires à la mise en oeuvre des actions qui leur sont confiées. Ces mesures devraient s'étendre à toutes les autres structures de prestation de services tels que les brigades de mineurs , le parquet et les tribunaux, les structures de santé et les services sociaux des hôpitaux, les structures scolaires et de formation professionnelle, les associations agréées, les familles d'accueil et les centres d'accueil privés et publics.

Une autre mesure très souvent négligée en Côte d'Ivoire et dans bien d'autres pays africains nécessaire au bien-être des enfants consiste en la mise en place d'un système d'information, suivi et évaluation en matière de droits et de protection de l'enfant.

3. Une nécessaire mise en place d'un système d'information, suivi et évaluation en matière de droits et de protection de l'enfant

Ce système viserait à doter la Côte d'Ivoire de données fiables en matière de protection de l'enfant. A terme, on aboutirait à un système d'information, suivi1651 et évaluation1652 totalement opérationnel qui produira inéluctablement des données très utiles.

1651 Le suivi est l'examen continu, assuré par l'équipe multisectorielle, des actions de prévention et d'intervention afin de déterminer si elles se déroulent conformément au plan et aux exigences budgétaires et si des ajustements peuvent être nécessaires pour qu'elles atteignent les objectifs prévus. Un suivi efficace implique un système d'établissement des rapports coordonné.

1652 L'évaluation est une analyse de la pertinence, de l'efficacité et de l'efficience des stratégies de prévention et d'intervention de l'équipe multisectorielle. Elle s'applique systématiquement à l'impact, en matière de protection, des politiques, programmes, pratiques, partenariats et procédures sur les femmes, hommes, garçons et filles réfugiés. Ses critères peuvent inclure la durabilité des activités de prévention et d'intervention, leur coordination et leur cohérence, et l'efficacité des systèmes de suivi et d'établissement des rapports ; CONSEIL DE L'EUROPE, « Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe sur une justice adaptée aux enfants », Série Construire une Europe pour et avec les enfants, monographie n°5, Editions Conseil de l'Europe, octobre 2001, p.36 ; Cf. RANGEON (F.), « La notion d'évaluation », In. L'évaluation dans l'Administration, Paris, PUF, coll. « Travaux du CURAPP », Paris, 1993 ; THOENIG (J-C), L'évaluation source de connaissances applicables aux réformes de la gestion publique, RFAP, n°92/1999, p.685 : « dans certains pays, ce n'est pas un hasard si l'usage de pratiques d'évaluation par de hauts fonctionnaires et conseillers est en corrélation avec le fait que leur formation universitaire et professionnelle les a sensibilisés aux acquis des sciences sociales et du management moderne, en rupture avec une formation strictement juridique ou administrative » ; Voir aussi VIVERET (P.), Evaluation et démocratie, Esprit, octobre 1989, p.43. Il énonce de façon catégorique que : « L'évaluation des politiques publiques entraîne l'absolue nécessité de distinguer les formes de l'évaluation de celles du contrôle ».

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La nécessité de suivre les progrès réalisés dans la mise en oeuvre des droits de l'enfant, de soutenir la planification des besoins du système de protection de l'enfant et d'asseoir des stratégies d'intervention sur les données précises, commande que soit défini prioritairement un système d'information, de suivi et d'évaluation de la protection de l'enfant. Ce système d'information sur la protection de l'enfant devrait être intégré au système sectoriel de l'action sociale. A cette fin, un cadre réglementaire adapté sera élaboré et des ressources humaines et matérielles suffisantes pour la gestion du système y seront affectées.

L'établissement d'un recueil systématique des données administratives encore inexistant, s'avère aussi nécessaire pour soutenir la collecte multisectorielle des données administratives en matière de protection et de respect de la mise en oeuvre des droits de l'enfant. Cela passe par l'établissement de plusieurs actions : un cadre méthodologique unifié, cohérent basé sur des définitions claires et précises, utilisables par les différents secteurs impliqués, assorti des outils pour la collecte des données administratives de chaque secteur ; des circuits et des délais de remontée des données sectorielles clairement défini ; un cadre institutionnel et réglementaire précis établissant le dispositif de centralisation des données ; des méthodes d'analyse, utilisation et divulgation des données administratives sectorielles.

En vue de soutenir la recherche scientifique dans ce domaine, il serait indispensable d'envisager des concepts et des indicateurs1653 qui soient, entre autres, utilisables par les chercheurs lors de l'élaboration de ce cadre.

Outre cela, un renforcement des données relatives à la protection de l'enfant dans les enquêtes d'envergure nationale s'impose. A cet égard, des efforts devraient être déployés pour intégrer davantage, des indicateurs relatifs à toute forme de violence touchant les enfants dans les enquêtes d'envergure nationale périodiques1654 ; Cela permettrait de mesurer utilement et efficacement l'impact direct et indirect des actions sur les enfants et la société dans son ensemble.

1653 OCDE, « Mesurer les droits de l'homme et la gouvernance démocratique, Expériences et enseignements de Métagora », In. Revue de l'OCDE sur le développement, 2009/2 (n°10) volume 10-2, p.400 ; EITAN (F.), « Mesurer les droits économiques et sociaux pour en demander compte aux gouvernements », In. Revue de l'OCDE sur le développement 2009/2 (n°10), p.207-228.

1654 Enquête démographique et de santé (EDS), autres enquêtes auprès des ménages, Multiple Indicator Cluster Survey ou enquête à indicateurs multiples (MICS).

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Dans la même veine, une intégration des données relatives à la protection de l'enfant dans les systèmes d'information sectoriels apparait importante. En fait, pour permettre de suivre l'impact des actions entreprises et les réorienter au besoin, les systèmes de suivi et évaluation des secteurs de la santé et de l'éducation devraient intégrer des indicateurs relatifs à la protection de l'enfant.

Outre la nécessaire adaptation du cadre juridique et fonctionnel de la protection de l'enfance, le renforcement des stratégies organisationnelles pour une effectivité des droits de l'enfant passera aussi par l'utilité d'une nouvelle et d'une meilleure mobilisation des financements.

§ 2. L'UTILITE D'UNE NOUVELLE COORDINATION ET D'UNE MEILLEURE MOBILISATION DES FINANCEMENTS

L'établissement d'un nouveau système efficace de coordination des actions (A), la mise en place de partenariats efficaces (B) et une meilleure mobilisation des financements (B) apparaissent comme trois fortes mesures nécessaires à la réalisation des droits de l'enfant. Ces trois aspects sont particulièrement importants et peuvent contribuer à donner une dimension plus effective à l'exercice des compétences de protection.

A. L'ETABLISSEMENT D'UN SYSTEME EFFICACE DE COORDINATION DES ACTIONS

Pour être efficace, l'établissement d'un système de coordination des actions s'avère nécessaire. Ici, l'objectif vise à assurer la coordination des actions afin que ce système de coordination soit effectivement opérationnel.

En un mot, les mesures suggérées se résumeraient en une suite d'actions transversales basées sur la collaboration entre plusieurs acteurs et secteurs. Par cela seul, elle défie les cloisonnements entre administrations centrales et locales1655, entre institutions, entre acteurs de terrain travaillant dans l'isolement sans grande concertation. Il est indispensable que tous les acteurs agissent ensemble sur des communautés qui leur sont communes, en mettant en commun idées et moyens, par le biais de procédures simples de concertation et de

1655 RUIVO FERNANDO, FRANCISCO DANIEL, « Entre centres et périphéries. Pour une esquisse des pouvoirs locaux au Portugal », Pôle Sud 1/2005 (n°22), p.115-125.

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coopération. Pour cela, il est indispensable de créer d'une part, une dynamique interministérielle par le biais de relations continues entre le ministère chef de file et les autres ministères et d'autre part, des partenariats avec les collectivités territoriales1656 et avec le secteur associatif1657. La coordination est un processus visant à l'élaboration d'une nouvelle cohérence de l'action. La poursuite de cet objectif fondamental orientera tous les efforts dans ce sens.

Primo, au niveau national, il faut une coordination multisectorielle : Le comité national de coordination et suivi de la mise en oeuvre du programme national de protection de l'enfant devrait être rapidement mis en place sur la base de la révision du cadre juridique de la coordination nationale de la protection de l'enfance (CNPE)1658. Ce comité assurera le leadership gouvernemental et la mobilisation des parties prenantes dans la mise en oeuvre des orientations contenues dans tout programme national d'actions en faveur de l'enfant et ses droits. Un projet de décret fixant la composition1659 et les attributions du comité national de protection de l'enfant devrait être prévu et adopté.

Ce comité se réunirait fréquemment et pourrait être présidé par le ministère en charge de la protection de l'enfance. Cette structure aura pour mission d'harmoniser les approches relatives à la protection de l'enfant, mettre en cohérence les initiatives des différents intervenants, favoriser l'élaboration de calendriers en phase les uns avec les autres,

1656 RAPHAEL DECHAUX, Alexandra LETURCQ et Alexis Le QUINIO, Compte rendu des discussions et débats à propos d'une table ronde portant sur « L'autonomie régionale et locale et constitutions », In. Annuaire international de justice Constitutionnelle, XXII-2006, pp.459-468. « (...) l'idée de collectivité locale ne me paraît pas en effet un critère suffisamment discriminant. Mieux vaut adopter une dénomination générique susceptible de s'appliquer à différents niveaux » p.462.

1657 TCHERNONOG (V.), VERCAMER (J.P.), Les associations entre mutations et crise économique. Etat des difficultés, Octobre 2012, Deloitte Conseil, 30p. ; STASI (B.), Vie associative et démocratie nouvelle, PUF, Paris, 1980, 157p.

1658 La CNPE est une plateforme d'échanges et de concertation qui a pour objet de renforcer la protection des enfants en Côte d'Ivoire en initiant un ensemble de mesures ou d'actions, sociales ou juridiques, de nature à garantir à l'enfant, le respect de ses droits, de sa dignité humaine et à lui assurer son complet épanouissement. 1659 Sa composition pourrait être prévu comme suit : ministre, cabinet, direction de la protection de l'enfance (DPE), direction de la protection sociale (DPS), direction de la lutte contre le travail des enfants (DLTE), sous-direction de la lutte contre le trafic d'enfant et la délinquance juvénile (S/DLTEDJ) du ministère de l'intérieur, la direction de la protection judiciaire de l'enfance et de la jeunesse (DPJEJ) du Ministère de la justice ;la direction des écoles, collèges et lycées (DELC) du ministère de l'éducation nationale (MEN) ; la direction générale de la santé (DGS) du ministère de la santé, les représentants des coalitions/réseaux des structures associatives qui oeuvrent dans le domaine de l'enfance en difficultés, les représentants des structures professionnelles (ordre des médecins, ordre des avocats, associations de journalistes, etc.) ; les représentants de structures de pouvoir local et les représentants des structures des autorités traditionnelles .

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mutualiser les bonnes pratiques1660, réduire les cloisonnements entre sous-secteurs, éviter les duplications d'actions et promouvoir le bilan participatif des activités réalisées et des résultats obtenus par les différents secteurs.

Un secrétariat exécutif permanent sera spécialement créé et chargé exclusivement du suivi des décisions prises par le comité national en matière de coordination. A cet égard, le secrétariat exécutif permanent de la protection de l'enfant veillera à établir des relations étroites entre les structures de coordination existantes : le Comité interministériel de lutte contre la traite des enfants( CIM), le comité national de surveillance des actions de lutte contre la traite, l'exploitation et les pires formes de travail des enfants (CNS) et le comité national de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants (CNLVFFE).

Il sera nécessaire d'élaborer des procédures claires de coordination entre les acteurs publics du niveau national avec le niveau régional et du niveau régional avec les niveaux départemental et communal. Des démembrements régionaux, départementaux et communaux du comité national de protection de l'enfance devraient voir le jour. Au niveau organisationnel, ces démembrements devraient avoir la même ossature que le comité national tant au niveau de la composition que de ses attributions compte tenu des acteurs présents à ces différents niveaux.

Secundo, les autres niveaux de coordination devront aussi être renforcés : Le ministère en charge de la coordination de la mise en oeuvre du plan national de protection et des droits de l'enfant veillera à mettre en place des structures légères de coordination avec tous les intervenants dans la protection de l'enfant, notamment avec : chaque ministère sectoriel ayant un rôle dans la protection de l'enfant 1661 ; les collectivités territoriales1662 ; les

1660 UNESCO, Secteur de l'Education, « Education pour le développement durable-Bonnes pratiques dans l'éducation de la petite enfance », Bonnes pratiques n°4-2012, 60p. ; Voir aussi BICE, Guide des bonnes pratiques pour la protection des mineurs en conflit avec la loi au Togo, 80p.

1661 Il s'agit des : Ministère en charge des affaires sociales, ministère en charge de la justice, ministère en charge de l'intérieur, ministère en charge de la santé, ministère en charge de l'éducation nationale, ministère en charge de la communication.

1662 V. notamment DOUENCE (J-C.), « Réflexions sur la vocation générale des collectivités locales à agir dans l'intérêt local », In. Quel avenir pour l'autonomie des collectivités locales ?, Les 2èmes entretiens de la Caisse des dépôts, éd. de l'Aube, Paris, 1999, p.746-752 ; V. aussi, CAILLOSSE (J.), « Repenser les responsabilités locales », In. Les cahiers de l'Institut de la Décentralisation, n°8/2006. ; VERPEAUX (M.), « Le rapport Balladur sur la réforme des collectivités locales, des raisons et des solutions » In., R.F.D.A., 2009, p.407-418.

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associations agréées de prestations de services et celles qui mettent en place des actions de prévention ; les partenaires techniques et financiers1663 (PTF) qui appuient la mise en oeuvre des politiques de protection de l'enfant ; les pays frontaliers1664 en particulier en ce qui concerne la traite transfrontalière des enfants.

Plus spécifiquement, un mécanisme de coordination interne aux différents ministères ayant un rôle dans la protection de l'enfant devrait être mis en place. Cela revient à dire que chaque ministère ayant un rôle dans la protection de l'enfant veillera à mettre en place une structure légère (groupe de travail) pour coordonner les actions de protection de l'enfant entre les différentes directions et services impliqués dans la protection de l'enfant, y compris avec les partenaires techniques financiers (PTF) sectoriels.

Tertio, les actions de protection de l'enfant au niveau régional doivent être bien coordonnées. Cela permettra de faciliter la collaboration entre les secteurs, d'échanger les informations entre les secteurs et de faire le bilan des activités des différents secteurs. La présidence de la coordination régionale pourrait être confiée au préfet de région1665 ; celui-ci aura les responsabilités suivantes : convoquer et diriger les réunions, rendre compte aux ministres chargés de la protection de l'enfant, représenter la coordination au niveau national, assurer que les interventions des différents secteurs contribuent au renforcement du système de protection de l'enfant.

Ce groupe de travail au niveau régional serait composé de personnes ayant un rôle important dans le domaine des droits et de la protection des enfants. Ainsi, sa composition pourrait être la suivante: un président (préfet de région), un vice-président (sous-préfet1666 ), un secrétaire exécutif (directeur en charge de la protection de l'enfant), un Directeur régional en charge des affaires sociales, juges des tutelles, préfets de police, directeurs régionaux en charge de l'éducation nationale (y compris enseignement technique et formation professionnelle ),

1663 Nous pensons particulièrement à l'Union Européenne, à l'Unicef et au PNUD, l'ambassade des USA... 1664 Le disant, nous pensons particulièrement au Burkina Faso, le Mali le Ghana, la Guinée et le Libéria. 1665 Voir Article 4 loi n° 2002643 du 25 /01 /2002 portant statut du corps préfectoral en Côte d'Ivoire ; Pour une meilleure connaissance des attributions du préfet de région et du préfet de département, voir Articles 6 à 22 de la loi n°2014-451 du 05 août 2014 portant orientation de l'organisation générale de l'administration territoriale.

1666 Article 6 Loi n° 2002643 DU 25 :01 :2002 portant statut du corps préfectoral en Côte d'Ivoire ; Pour une meilleure connaissance des attributions du sous-préfet, voir aussi 25 à 30 de la la loi n°2014-451 du 05 août 2014 portant orientation de l'organisation générale de l'administration territoriale.

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directeur régional de la santé, le commandant de légion, autorités traditionnelles et représentants des ONG.

Une fois installé, ce groupe de travail devrait se doter rapidement d'un cahier de charges. Le cahier de charges de ce groupe de travail régional pourrait consister entre autres à : la planification des activités, le partage des données sectorielles, l'appréciation des rapports d'activités, la réorientation des activités si nécessaire, le suivi de la mise en oeuvre et l'évaluation.

S'agissant de son mode de fonctionnement, le groupe de travail pourrait se réunir suivant les niveaux : réunion semestrielle au niveau de district, réunion semestrielle au niveau régional et réunion bimestrielle au niveau départemental.

Une fois établi, ce système efficace de coordination des actions devrait être soutenu par l'instauration de partenariats marqués au coin de l'efficacité.

B. LA MISE EN PLACE DE PARTENARIATS EFFICACES

Pourquoi s'arrêter sur la notion de partenariat alors qu'elle est l'une des manifestations emblématiques de la contractualisation de l'action publique ? C'est qu'elle est une forme bien particulière de l' « agir contractuel1667 » dans laquelle se loge la gouvernance1668 : les

1667 GAUDIN (J-P), « L'action publique contractuelle : beaucoup de bruit pour rien ? », In. Droit et société, 47/2001, p.285-293.

1668 Pour une meilleure compréhension du terme gouvernance, voir KAMTO (M.), Droit international de la gouvernance, ed. A. Pedone, pp.15-35. ; BARON (C.) « La gouvernance : débats autour d'un concept polysémique » en Droit et Société, Revue internationale de théorie du droit et de sociologie juridique (RITDSJ), n, 2003, pp.320-352 ; « La bonne gouvernance et les droits de l'homme sont complémentaires. Les principes relatifs aux droits de l'homme posent un ensemble de valeurs qui visent à 2 3 guider l'action des gouvernements et des autres intervenants sur la scène politiques et sociale. Ils posent également un ensemble de normes au regard desquelles la responsabilité de ces intervenants peut être mise en cause. Ces principes inspirent en outre la nature des efforts faits en matière de bonne gouvernance : ils peuvent être à la base de l'élaboration de cadres législatifs, de politiques, de programmes, de dotations budgétaires et d'autres mesures. Cependant, en l'absence de bonne gouvernance, les droits de l'homme ne peuvent être respectés et protégés durablement. La mise en oeuvre des droits de l'homme exige un cadre incitatif et favorable, entre autres des cadres juridiques et des institutions appropriés, ainsi que les processus politiques et administratifs nécessaires pour satisfaire aux droits et aux besoins de la population. Lorsqu'elles sont inspirées par les valeurs des droits de l'homme, les réformes qui se rapportent à la bonne gouvernance des institutions démocratiques mettent à la portée du public les moyens de participer à l'élaboration des politiques, que ce soit par le biais d'institutions formelles ou de consultations informelles. Elles créent également des mécanismes qui permettent d'intégrer des groupes sociaux multiples aux processus décisionnels, en particulier au niveau local. Enfin, elles peuvent encourager la société civile et les communautés locales à formuler et à faire connaître leur position sur des

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interactions public/privé qui en sont l'une des expressions privilégiées trouvent là un cadre juridique favorable à leur institutionnalisation. Certes, on admettra sans mal avec P. SADRAN que ce n'est pas le partenariat qui fait la bonne gouvernance1669, mais tel n'est pas le problème qui nous retient : il nous suffit de constater que l'usage, en cours de banalisation du partenariat fait partie de ces pratiques qui marquent le passage du gouvernement à la gouvernance1670. La mise en place de partenariats efficaces aura pour objectif d'assurer le concours des partenaires associatifs et partenaires techniques financiers à la mise en oeuvre effective du plan d'actions. Le travail en partenariat s'est développé à partir des lois de décentralisation, étant donné la complexité des situations rencontrées par les travailleurs sociaux, mais également des dispositifs d'action sociale qui recourent à de nombreux acteurs. C'est aujourd'hui un principe d'action nécessaire qui favorise la mise en oeuvre des politiques publiques. Il se définit de manière officielle comme la « coopération entre des personnes ou des institutions généralement différentes (financement, personnel...) permettant de réaliser un projet commun »1671.

La mise en place de partenariats efficaces et de réseaux1672 s'avère indispensable, compte tenu du fait que l'action publique dans le domaine de l'enfance est constituée de trois acteurs : l'Etat et ses institutions, la société civile1673 et ses formes organisationnelles et les partenaires techniques financiers.

sujets qu'elles jugent importants. Dans le domaine des services de l'État au public, les réformes qui se rapportent à la bonne gouvernance représentent une avancée pour les droits de l'homme quand elles rendent l'État plus à même d'assumer la responsabilité qui lui incombe de fournir des biens collectifs essentiels à la protection d'un certain nombre de droits de l'homme, tels que le droit à l'éducation, à la santé et à l'alimentation. Au nombre des initiatives prises en matière de réforme peuvent figurer des dispositifs régissant l'obligation de rendre des comptes et la transparence, des moyens politiques respectueux des cultures, afin de faire en sorte que les services soient accessibles à tous et acceptables par tous, ainsi que des moyens d'amener

le public à participer aux prises de décisions », disponible
sur : http://www.ohchr.org/Documents/Publications/GoodGovernance_fr.pdf (consulté le 08/10/2017). 1669 SADRAN (P.), « Le partenariat public-privé en France, catégorie polymorphe et inavouée de l'action publique », RISA, vol.70, juin 2004, p.253-270.

1670 Lire GAUDIN (J-P), Pourquoi la gouvernance ?, Presses de Sciences Po., coll. La bibliothèque du citoyen, 2002 ; STOCKER (G.), « Cinq propositions pour une théorie de la gouvernance », Revue internationale des sciences sociales n°155, mars 1998, p.19.

1671 LYET (P.), L'institution incertaine du partenariat, L'Harmattan, logiques sociales, 2012, p.19.

1672 DUMOULIN (P.), DUMONT (R.), BROSS (N.) MASCLET (G.), Travailler en réseau, méthodes et pratiques en intervention sociale, Dunod, Paris, 2006, p.30.

1673 KMF-CNOE et FES, Qu'est-ce que la société civile ? , Antananarivo, Octobre 2009, , pp.1-22 ; THIRIOT (C.), « Rôle de la société civile dans la transition et la consolidation démocratique en Afrique : éléments de réflexion à partir du cas du Mali », Revue internationale de politique comparée 2/2002 (Vol.9), p.277-295 ;

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Outre des partenariats de principe établis au niveau national1674, les administrations de terrain responsables de l'exécution des programmes nationaux de protection de l'enfance se doivent d'établir localement des partenariats avec les corps intermédiaires (associations, médias, syndicats, associations professionnelles) et avec les intervenants extérieurs (Ongs, partenaires techniques et financiers) sur la base d'une distribution concertée des tâches.

Le partenariat avec les associations1675 ayant des compétences en matière de prestation de services de la protection spécialisée fera l'objet d'une politique de contractualisation1676 avec les associations.

Par ailleurs, il faut compter avec les effets pervers du morcellement juridique des territoires administratifs dans un contexte de décentralisation1677. Du fait de leur propre montée en puissance, les collectivités et autres institutions locales sont vouées à s'organiser entre elles pour rendre plus performante l'offre de services publics. Il en résulte une situation favorable à la constitution contractuelle de réseaux1678.

L'établissement d'un système efficace de coordination des actions soutenu par l'instauration de partenariats serait vain si tous ces efforts ne sont pas suivis ou précédés d'un budget conséquent alloué au financement des actions de réalisation des droits et du bien-être de l'enfant ; ceci commande donc un renforcement quantitatif du montant alloué à la cause de l'enfant et ses droits.

1674 Nous entendons par là, par exemple, la conclusion de conventions entre l'Etat et les organisations onusiennes en vue du déploiement des activités de celles-ci sur le territoire national.

1675 FIALAIRE (J.), « La délégation du service public local aux associations », Les petites affiches, 22 Aout 1997, n°101-3, pp.3-9.

1676 RICHER (L.), « La contractualisation comme technique de gestion des affaires publiques », AJDA 19 mai 2003, pp.973-975. ; MATHIOT(P.), La politique de prévention de la délinquance de la ville : un exemple de contractualisation d'une politique publique, mémoire de maîtrise, 2001, pp74.

1677 BLEOU (M.), « Parti unique et décentralisation. L'exemple ivoirien », in La décentralisation. Etudes comparées des législations ivoiriennes et françaises. Actes du Colloque international organisé par la Faculté de droit de l'Université nationale de Côte d'Ivoire et l'Université des Sciences sociales de Toulouse I , Abidjan 9-12 mai 1988, pp.81-92.

1678 Dans une littérature spécialement abondante, v. La contribution d'O. GOHIN, « Loi et contrat dans les rapports entre collectivités publiques », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, 17/2004, Dalloz, p.95-102.

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C. L'AUGMENTATION DES FINANCEMENTS NECESSAIRES

L'augmentation des financements imposerait qu'il y ait une véritable politique permettant la mobilisation et la disponibilité de financements nécessaires à la mise en oeuvre d'un programme d'actions utiles pour une effectivité optimale des droits de l'enfant. Le secteur de la protection doit disposer de financement public alloué de manière conséquente au regard des objectifs fixés par ce plan ou programme d'actions en faveur des droits de l'enfant. La charge financière de la protection de l'enfance incombe essentiellement à l'Etat1679. L'Etat est chargé d'assurer les budgets de fonctionnement des services de protection administrative qui sont des services déconcentrés du Ministère en charge de l'action sociale et des services relevant du système judiciaire.

Pour y arriver, quelques actions données comme importantes doivent être menées : A l'initiative de l'Etat, des partenariats financiers devraient être mises en place entre l'Etat et les collectivités territoriales (les Mairies) des localités ne disposant pas des services de la protection spécialisée (complexes socio-éducatifs ou Centre social) pour le soutien aux chargés communaux de la protection spécialisée. Des rubriques spécialement affectées aux interventions et actions, y compris de formation, relatives à la protection de l'enfant devraient être prévues dans les lignes budgétaires des autres ministères en charge de la protection de l'enfance et ses droits.

Aussi, un cadre de concertation sera établi au niveau national pour obtenir l'adhésion et le soutien financier des partenaires techniques et financiers aux orientations de tout programme contenu dans le plan d'actions pour la mise en oeuvre effective des droits de l'enfant et de leur protection.

Par ailleurs, d'autres sources de financement seront à rechercher pour assurer ou renforcer les moyens nécessaires à la mise en oeuvre du programme national de mise en oeuvre des droits et de protection de l'enfant. Plus spécialement, des stratégies de partenariats financiers avec le secteur privé national et international devront être explorées. A titre d'illustration, au niveau national, un partenariat financier avec les coopératives de produits vivriers serait une

1679 Selon la Comité des droits de l'enfant, tout gouvernement qui prend au sérieux ses obligations à l'égard des enfants, devrait effectuer une analyse budgétaire adaptée pour déterminer la proportion des dépenses publiques consacrée aux enfants et garantir l'utilisation effective de toutes ces ressources, Voir HAMMARBERG (T.), Droits de l'Homme en Europe : la complaisance n'a pas sa place, Editions du Conseil de l'Europe, Octobre 2011, p.180.

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opportunité devant permettre de faire face aux questions liées à l'alimentation des enfants détenus ou enfants en institutions privées.

Des évènements ponctuels pourront aussi être organisés pour la levée de fonds1680 destinés à la lutte contre la violence qui touche les enfants. Ces évènements se baseront sur le renforcement de la solidarité nationale1681 et auront le double objectif de sensibiliser la population et de fonctionner en tant que dispositifs de collecte de fonds1682. Les fonds supplémentaires collectés au titre de la protection de l'enfant pourront alimenter un fonds exceptionnel destiné, par exemple, à financer les campagnes nationales et locales de sensibilisation.

Pour être utiles à l'atteinte d'une effectivité optimale des droits de l'enfant, toutes ces mesures de réforme profonde de la stratégie de prise en charge des enfants doivent être concomitamment accompagnées d'une plus grande priorité accordée aux actions de prévention des atteintes aux droits de l'enfant.

SECTION II. UNE PLUS GRANDE PRIORITE A DONNER AUX ACTIONS DE PREVENTION DES ATTEINTES AUX DROITS DE L'ENFANT

La prévention par des actions de plaidoyer et de sensibilisation des communautés (Paragraphe1) et la prévention de la violence institutionnelle et des comportements à risque sont à nos yeux, deux actions préventives déterminantes pour une meilleure effectivité des droits de l'enfant (Paragraphe 2).

§ 1. LA PREVENTION PAR DES ACTIONS DE PLAIDOYER ET DE SENSIBILISATION DES COMMUNAUTES

Seront mis en lumière à ce niveau de notre analyse, l'instauration d'une culture de débat sur les atteintes aux droits de l'enfant (A) et un appui renforcé aux structures communautaires de protection de l'enfant (B).

1680 GALLOUIN (J-F), Guide pratique de la levée de fonds, Groupe Eyrolles, 2007, p.5-6.

1681 KNESTSCH (J.), « La solidarité nationale, genèse et signification d'une notion juridique », Revue française des affaires sociales, 2014/1(n°1-2), pp.32-43. ; THOMAZEAU (A-M.), Aider les autres ? Paris, De La Martinière Jeunesse, 2008. 254p.

1682 LEFEVRE (S.), Collecte de fonds, militantisme et marketing : le programme Direct Dialogue à Greenpeace France, mémoire de DEA de Science Politique, Université Lille2, 2003.

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A. L'INSTAURATION D'UNE CULTURE DE DEBAT SUR LES ATTEINTES AUX DROITS DE L'ENFANT

Les problèmes de violence1683 et exploitation qui touchent les enfants sont méconnus de l'opinion publique ivoirienne. On observe la coexistence de différents niveaux d'appréhension et de conscience du problème de la violence affectant les enfants. En Côte d'Ivoire, certaines formes de violence1684 ne sont pas reconnues en tant que telles, notamment la maltraitance1685 et l'exploitation1686. Pour d'autres, notamment les punitions corporelles1687 et la violence sexuelle, la propension sera à en faire porter la responsabilité à l'enfant, pourtant victime : c'est par son comportement qu'il est considéré méritant ce qui lui arrive. On explique encore la violence contre les enfants par des considérations relatives aux « défaillances parentales1688 », aux « familles dysfonctionnelles ou recomposées1689 ». Bref, dans la majorité des cas, on n'est pas prêt à reconnaitre qu'il s'agit d'un problème véritablement collectif, enraciné dans des pratiques tolérées et répandues.

1683 FORTIN (A.) et CHAMBERLAND (C.) et LACHANGE (L.), « La justification de la violence envers l'enfant, un facteur de risque de violence », Revue Internationale d'éducation familiale, IV, (2), 2000, pp.5-34.

1684 MILLER (A.), C'est pour ton bien. Racines de la violence dans l'éducation de l'enfant. Réédition. Paris : Aubier, 2008, 320p ; LAPIERRE (S.) et DAMANT (D.), « Les mauvais traitements envers les enfants et les adolescents : le point de vue d'enfants et d'adolescents victimes. ». Service social, 51(1), 2004, pp.98-109. 1685 DURNING (P.), « L'évaluation des situations d'enfants maltraités : définitions, enjeux et méthodes », In. Evaluation (s) des maltraitances : rigueur et prudence, Editions Fleurus psycho-pédagogie, Paris, 2002, pp.15-47. ; DURNING (P.), L'enfance maltraitée : piège ou défi pour la recherche en éducation familiale », Revue française de pédagogie, 96, 1991, pp.33-42. ; DURNING (P.), La maltraitance : une notion floue, des réalités incontournables » in Revue du Haut Comité de Santé Publique, juin 2000, pp.57-59.

1686 JACQUEMIN (M.), « Travail domestique et travail des enfants, le cas d'Abidjan (Côte d'Ivoire) » in Tiers Monde.2002, tome 43, n°170.

1687 COMITE DES DROITS DE L'ENFANT DES NATIONS UNIES, « Observations générales n°8 du Comité des droits de l'enfant des Nations Unies sur le droit de l'enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments ». CRC/C/GC/8, 2 juin 2006 ; CONSEIL DE L'EUROPE 2007, « L'abolition des châtiments corporels à l'encontre des enfants : Questions et réponses » In. Construire une Europe pour et avec les Enfants. Editions du Conseil de l'Europe. Bruxelles, 57p. ; CLEMENT (M-E), KARINE (C.) et ISA IASENZA, « Que retenir de l'implantation et de l'efficacité du programme Eduquons nos enfants sans corrections physiques ». Défi jeunesse : Revue professionnelle du Conseil multidisciplinaire du Centre Jeunesse de Montréal, vol. 11, n°1, novembre 2004, p.8-27.

1688 LESAGE (F), « Défaillance parentale. Et choc des cultures », Les Cahiers Dynamiques 3/2014 (n°61), pp.135-142.

1689 MARIE-CHISTINE (S.J.), « Familles recomposées : qu'avons-nous appris au fil des ans ? », Service social, vol.39, n°3, 1990, pp.7-37.

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Par conséquent, la violence à l'égard des enfants, bien que observable par tout un chacun, fait l'objet d'une visibilité limitée et apparait à un faible niveau des préoccupations relayées dans le débat public. Le refus de percevoir la violence contre les enfants comme une menace pour les valeurs et à terme, pour le développement harmonieux de la société génère l'apathie de l'opinion publique et la rend peu encline à se mobiliser.

Pour contrer cette situation et faire évoluer les mentalités, il est donc nécessaire de changer les perceptions du public sur les phénomènes de violence et partant augmenter la capacité d'indignation1690 face aux abus qui touchent les enfants. Sur cette base, il sera possible de promouvoir des actions de lutte contre la violence qui soient à la portée de tout citoyen.

En l'espèce, la communication sociale1691 apparait à nos yeux comme un véhicule puissant pour impulser ces changements. Ici, la communication sociale réfère à toute initiative de diffusion par les médias, de messages relatifs à la protection de l'enfant et de ses droits auprès de la population toute entière (campagnes nationales) ou de publics sélectionnés. La communication sociale en matière de protection de l'enfant viserait à faire évoluer les comportements par l'émergence et la généralisation de nouvelles idées et normes partagées qui soient résolument favorables à la protection de l'enfant.

L'introduction des questions de violence touchant les enfants dans l'agenda médiatique de masse et de proximité est une stratégie incontournable pour arriver à une appréhension de la violence envers les enfants en tant que problème sociétal qui appelle à la responsabilisation de tout un chacun et pour soutenir un dialogue social1692 ample et continu à ce sujet.

Le défi pour le secteur des médias est celui de la pertinence et de l'adéquation des messages à l'intention de l'opinion publique, pour éviter qu'elle ne bascule dans l'alarmisme qui appelle démesurément à la répression ou à l'opposé dans l'indifférence et l'immobilisme. Les médias devront aussi assurer qu'il y ait une certaine continuité entre les messages

1690 PIERRON (J.-P.), « L'indignation », Études, vol. Tome 416, no. 1, 2012, pp. 57-66.

1691 COLLET (H.), Communiquer : Pourquoi ? Comment ? Le guide de la communication sociale, Paris, CRIDEC Editions, 2004, 608 p. ; PACINI (M-C), Le rôle du digital dans la communication sociale, mémoire de fin d'études (MBA 2ème année), Ecole de Commerce de Lyon, 2015, pp.9-14.

1692 BIT, Dialogue social-Discussion récurrente en vertu de la Déclaration de l'OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable, Conférence internationale du Travail, 102e session, 2013, ILC.102/VI.

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véhiculés et d'autres initiatives plus concrètes en appui au changement de comportement par rapport au problème abordé.

Les initiatives de communication sociale en tant que moyen de contribution à l'effectivité des droits de l'enfant, se donneront comme objectifs de :

- Dénoncer publiquement les diverses formes de violence qui affecte les enfants ;

- Faire la promotion de tous les droits de l'enfant et du droit à la protection contre la violence en particulier ;

- Faire la publicité des conséquences néfastes de la violence sur l'enfant, la famille et la communauté ;

- Soutenir le concept de la responsabilité individuelle et collective de s'abstenir de tout

comportement violent vis-à-vis des enfants ;

- Diffuser l'information sur les textes protégeant les enfants et sur les conséquences légales de tout acte de violence ;

- Divulguer l'obligation de signaler tout acte de violence pour que les enfants victimes puissent être assistés ;

- Faire la publicité sur les dispositifs existants en matière de signalement et assistance aux enfants victimes et donner des orientations claires quant à la procédure à suivre ;

- diffuser des informations visant à renforcer les capacités d'autoprotection des enfants, leur connaissance des droits et les informer sur les voies de secours et de recours, de préférence avec leur participation dans la production des messages.

Les initiatives de communication sociale rechercheront l'équilibre entre la notion de gravité de la situation et la communication positive valorisant la « bientraitance1693 », les valeurs et les pratiques positives dans les processus d'éducation et de protection des enfants.

Elles s'appuieront dans la mesure du possible sur la participation des leaders d'opinion, soient-ils des responsables politiques, des communicateurs, des artistes, des leaders traditionnels, etc., et sur la participation de groupes d'enfants et de jeunes.

1693 SELLENET (C.), « De la bientraitance des enfants à la bientraitance des familles ? », Spirale 1/2004(n°29), p.69-80 ; RAPOPORT (D.), « De la prévention de la maltraitance à la « bien-traitance » envers l'enfant », Informations sociales 4/2010 (n°160), pp.114-122.

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Pour assurer la réussite des efforts de communication, il serait nécessaire d'élaborer une stratégie de communication1694 en matière de protection de l'enfant et de ses droits, avec l'implication et la collaboration entre les responsables politiques, le parlement1695, les réseaux professionnels, les ONGs et les médias. Il sera nécessaire aussi d'assurer que les efforts de communication aillent de pair avec les efforts d'amélioration de l'efficacité des services d'assistance, de sécurité et services judiciaires dans la suite donnée aux signalements1696 de manière à améliorer la confiance de la population et leur propension au signalement.

Outre l'instauration d'une culture de débat sur les atteintes aux droits de l'enfant, notamment contre toute forme de violence, les structures communautaires de protection de l'enfant doivent aussi faire l'objet d'un appui renforcé.

B. UN APPUI RENFORCE AUX STRUCTURES COMMUNAUTAIRES

L'objectif visé ici est de renforcer les pratiques communautaires positives1697 en matière de protection et de défense des droits de l'enfant. Ce faisant, à terme, les pratiques communautaires en matière de violence affectant les enfants devraient être axées sur la considération de l'intérêt supérieur de l'enfant. En matière de protection de l'enfant, le rôle principal étant dévolu aux communautés, il importe que la priorité soit accordée aux actions tendant à renforcer les capacités des communautés afin que les enfants soient élevés ou éduqués à l'abri de toute forme de violence et que leur protection face aux risques soit assurée1698 . Les modes de vie qui se basent sur une cohésion sociale forte sont vivaces en

1694 PALMIERI (J.), E-change-Stratégies de communication des associations, ritimo, pp.1-14 ; LIBAERT (T.), Le plan de communication. Définir et organiser votre stratégie de communication, Paris, Dunod, 5è ed. 2017, 320p.

1695 UNICEF, La protection de l'enfant. Guide à l'usage des parlementaires n°7, Presses de SRO Kundig, Genève, 2004, pp.23-44.

1696 CIRCULAIRE N° DGCS/SD2A/2014/58 du 20 février 2014 relative au renforcement de la lutte contre la maltraitance et au développement de la bientraitance des personnes âgées et des personnes handicapées dans les établissements et services médico-sociaux relevant de la compétence des ARS, p.5-6 disponible sur www.circulaire.legifrance.gouv.fr (consulté le 21/08/2016).

1697 TERRE DES HOMMES, Les pratiques communautaires dans la protection des enfants-Les cas du Brésil, de la Colombie, du Pérou, de l'Equateur et du Nicaragua, 2011, pp.9-24.

1698 CARBONNIER J., « Vis famille, Législation et quelques autres », in J. CARBONNIER, Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 2001, p.275. ; Voir aussi, C. RIEUBERNET, « Les limites de la solidarité familiale », in C. NEIRINCK, Droits de l'enfant et pauvreté, Dalloz, 2010, p.55. ; FULCHIRON

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Côte d'Ivoire, notamment, dans le milieu rural. Il existe dans ces communautés des normes, à tout le moins, des règles intériorisées établissant des règles de la vie communautaire et les diverses formes de solidarité. Les parents sont les premiers responsables du bien-être de leurs enfants. Dans l'exercice de cette responsabilité et face à des difficultés majeures (décès et maladie, perte d'emploi et de revenus, difficultés relationnelles, etc.), les diverses formes de solidarité veulent que les membres de la communauté (famille élargie, voisinage, quartiers, cercles d'amis et personnes proches, autorités locales, etc.) viennent au secours des parents en difficulté. Les règles communautaires établissent les comportements admissibles ou souhaitables et ceux qui sont proscrits à l'égard des enfants. Ceci est vrai par exemple quant aux châtiments corporels, qui peuvent s'imposer aux parents par la force de ces mêmes normes. Les comportements déviants de ces normes font généralement l'objet d'une condamnation morale et en conséquence, fonctionnent comme des éléments de dissuasion de certains comportements de la part des parents. Les normes désignent les personnes qui peuvent éventuellement intervenir dans le milieu familial dans l'appréciation de la manière dont les parents s'acquittent de leurs responsabilités et à partir de quel seuil. Les mécanismes de règlement des conflits ethniques ou communautaires1699 en général sont confiés à la responsabilité des griots1700 ou chefferies traditionnelles1701 grâce au pouvoir1702 à eux confiés. Seulement et malheureusement, certains abus commis sur les enfants font l'objet de règlement traditionnel, à la demande des parents (par exemple, en cas d'abus sexuel commis par une personne extérieure à la famille). Toutefois, force est de reconnaitre que ces

H. (dir.), Les solidarités entre générations, Paris, Bruylant 2013, 1149p ; Lire aussi : MAISONNASSE (F.), L'articulation entre la solidarité familiale et la solidarité collective, LGDJ, 2016, 485p.

1699 HOBSBAWM (E.), « Qu'est-ce qu'un conflit ethnique ? », in Actes de la Recherche en Sciences sociales, n°100, Paris, Seuil, 1993, p.52. ; LABAKI T. GEORGES, Les conflits communautaires et ethniques dans le monde contemporain », in Encyclopaedia Universalis, Paris, Universalia, 1991, pp.111-116.

1700 SORY CAMARA, Gens de la parole. Essai sur la condition et le rôle des griots dans la société malinké, Paris, Karthala, 1992, 375p.

1701 HASSANE (B.), « Autorités coutumières et régulation des conflits en Afrique de l'Ouest francophone : entre l'informel et le formel » in La réforme des systèmes de sécurité et de justice en Afrique francophone, Organisation Internationale de la Francophonie, 2011, p.178. ; ADRIANN (B.) van ROUVEROY van NIEUWAAL, L'Etat en Afrique face à la chefferie : le cas du Togo, ASC-Karthala, Paris/Leyde, 2000, p.25. ; PERROT (C.-H.) et FAUVELLE-AYMAR (F.-X.) (dir.), Le retour des Rois : les autorités traditionnelles et l'Etat en Afrique contemporaine, Paris, Karthala, Paris, 2003, pp.249-266.

1702 BADIE (B.) et al., Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Paris, Armand Colin, 2005, pp.265-266. ; LHOMME (J.), « La notion de pouvoir social », Revue économique, Volume 10, n°4, 1959, p.487.

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règlements privilégient le rétablissement de la cohésion communautaire1703, par l'application à l'auteur de l'abus, d'une forme de réparation informelle à la famille. L'enfant victime ne fait en général l'objet d'aucune attention particulière. Qui plus est, dans les communautés, souvent des actes et des situations sont tolérées, acceptés et même envisagés par les adultes, parce qu'elles ne sont pas perçues en tant que telles. La violence à l'encontre de l'enfant peut devenir tolérable ou banale aux yeux de ceux qui l'infligent ou qui en sont spectateurs. En conclusion, l'intérêt supérieur de l'enfant demeure soumis à l'intérêt des adultes et de la communauté1704.

Pour pouvoir prévenir les abus, la violence et l'exploitation à l'encontre de l'enfant en milieu communautaire, il est donc nécessaire que les membres de la communauté perçoivent clairement la maltraitance et l'exploitation en tant que telles, soient conscients de leurs conséquences sur le développement de l'enfant et sur la vie de la communauté, et finalement acceptent de changer d'attitudes et de comportements. La communication pour le changement de comportement1705 en matière de protection de l'enfant au niveau communautaire pourrait être un outil central pour assurer l'atteinte de ces objectifs. Cette forme de communication fait référence à des initiatives de communication sociale interpersonnelle. L'action consisterait à établir un dialogue de proximité entre les membres d'une communauté donnée et des professionnels de l'action sociale autour de questions

1703 On ne le dira jamais assez, en Afrique, le primat du groupe sur l'intérêt individuel reste prégnant au niveau traditionnel malgré la consécration des droits individuels. KAMTO (M.), « Charte africaine, instruments internationaux de protection des droits de l'homme, constitutions nationales : articulations respectives », in E. LAMBERT ABDELGAWAD, J-F FLAUSS (s-dir.), L'application nationale de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, Bruylant, Nemesis, Bruxelles 2004, p.11. ; A contrario FULCHIRON H., « Existe-t-il un modèle familial européen ? », Défrenois 2005, 38239, pour qui « s'il n'existe pas de modèle familial européen, c'est donc bien parce que l'unité de mesure de toute chose n'est pas le groupe, mais l'individu ». 1704 Selon RICHARD MOLLARD (J.), « Le Nègre ne se conçoit pas seul. La cellule fondamentale des sociétés négro-africaines n'est nullement l'individu, mais un groupe. L'individu n'est à l'aise que s'il se saisit lui-même par rapport à une communauté. Il est une dent de rouage dans un complexe engrenage », RICHARD MOLLARD (J.), « Groupes ethniques et collectivités d'Afrique Noire », In. Cahiers d'Outre-Mer, 1952, cité par KOUASSIGNAN (G.), Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit privé de la famille en Afrique noire francophone, Paris, Pédone, 1974, p.14. ; Voir aussi ASSO (B.) selon lequel, « Dans les sociétés négro-africaines, la cellule essentielle de l'organisation sociale n'est pas l'individu considéré isolement. Tout homme constitue un chaînon vivant, actif et passif, rattaché par le haut à l'enchainement de sa lignée ascendante et soutenant sous lui sa lignée descendante », « De la sacralisation du pouvoir : essai sur l'Afrique noire animiste », Revue Méditerranéenne d'Histoire, 1976, p.97.

1705 FEDERATION INTERNATIONALE DES SOCIETES DE LA CROIX-ROUGE ET DU CROISSANT-ROUGE, La communication pour le changement de comportement à l'usage des volontaires de la communauté-Manuel du formateur, 2010, pp.19-66.

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relatives aux droits et à la protection de l'enfant. Pour être un complément des actions de communication sociale par les médias, la communication pour le changement de comportement permettrait d'en renforcer l'impact en instaurant un dialogue direct avec la population, en particulier celles pour qui l'accès aux média est plus difficile.

La communication pour le changement de comportement en milieu communautaire partirait d'un double postulat : d'une part, la violence à l'encontre des enfants provient souvent de la méconnaissance ou de l'incompréhension de la part d'adultes (qui ont pour la plupart subi les mêmes traitements)1706, des effets dommageables de la violence et de l'exploitation sur le développement de l'enfant tout comme sur les relations communautaires et le développement ; d'autre part, le changement de comportement des uns et des autres dans le sens d'une meilleure protection de l'enfant ne peut être que le fruit d'une prise de conscience, de décision éclairée et d'un engagement collectif de ceux qui sont concernés directement.

La communication pour le changement de comportement viserait aussi à soutenir l'acquisition de connaissances, aptitudes et comportements de protection et à renforcer les pratiques communautaires favorables au développement holistique de l'enfant. Le dialogue entre les intervenants extérieurs et la communauté portera sur la valorisation des pratiques positives (renforcement des compétences familiales, prise en charge communautaire) et sur la reconnaissance de ce qui constitue une violation du droit à la protection de l'enfant. Le but est de convenir avec les communautés de la nécessité d'une moindre tolérance envers des comportements violents à l'égard des enfants (corrections démesurées, maltraitance), un moindre recours aux stratégies économiques familiales qui pénalisent fortement les enfants (pires formes de travail des enfants, mariage forcé), un abandon des pratiques socioculturelles néfastes pour les enfants, telles que les mutilations génitales féminines, le mariage précoce.

Les processus de communication pour le changement de comportement en milieu communautaire se doivent d'être non seulement des processus collectifs (engageant un grand nombre d'acteurs des communautés), mais aussi progressifs (allant du développement de

1706Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, La communication pour le changement de comportement à l'usage des volontaires de la communauté- Manuel du formateur, 2010, pp.19-23.

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l'enfant aux problèmes des violences touchant les enfants) et inscrits dans une durée suffisante pour l'atteinte de résultats réels. Ils se donneront les objectifs qui suivent : informer et éduquer sur le développement physique et émotionnel de l'enfant1707, y compris la phase de l'adolescence1708; revisiter de manière critique ensemble avec les chefferies traditionnelles et les membres des communautés, les pratiques de résolution des conflits relatifs à la protection de l'enfant et apprécier leur adéquation à l'intérêt supérieur de l'enfant ; identifier les problèmes de protection de l'enfant et évaluer l'étendue de leur impact sur le développement de l'enfant ; reconnaitre et renforcer les pratiques positives ; reconnaitre et abandonner les pratiques nuisibles ; mener à la prise de conscience collective du devoir de protection vis-à-vis des enfants ; inciter les communautés à s'engager sur des initiatives mettant à profit les formes organisationnelles et les potentialités existantes dans la communauté au service d'une meilleure protection de l'enfant. Ces initiatives pourront se formaliser en tant que mécanismes de veille, détection, médiation1709 et référence ; assurer que les communautés disposent des informations nécessaires pour recourir aux services de protection de l'enfant dans les cas où la prise en charge psychosociale de l'enfant1710 et l'accompagnement de la famille soient nécessaires et/ou envisageables ; poser la question de la résolution communautaire des litiges relatifs aux infractions commises sur l'enfant en lieu et place du recours à la justice sous le prétexte du maintien de la cohésion sociale à l'appréciation des uns et des autres , et établir le consensus quant à la nécessité de recourir à la justice dans les cas prévus par la loi ; soutenir l'accès des communautés aux services d'aide juridique1711 et le recours à la justice1712 pour la poursuite de cas d'infractions pénales commises contre les enfants.

1707 DELFOS -MARTINE (F.) , « Le développement des enfants de 4 à 12 ans », In. De l'écoute au respect, communiquer avec les enfants, Toulouse, ERES, « Enfance et parentalité », 2007, pp.35-59.

1708 UNICEF, La situation des enfants dans le monde 2011- L'adolescence. L'âge de tous les possibles, pp.8-12.

1709 DE LARA (A.), DE LARA (P.), « L'enfant, objet transitionnel de la médiation familiale », Dialogue 2003/2 (n°160), p.69-87.

1710 PERRUSSON (O.), « Accompagnement psychologique des enfants maltraités », Laennec 1/2008 (Tome 56), pp.34-44. Disponible sur www.cairn.info/revue-laennec-2008-1-page-34.htm. (Consulté le 15/05 /2016). 1711 Pour plus d'informations sur les composantes fondamentales de l'assistance juridique adaptée aux enfants, voir, UNICEF, L'assistance juridique adaptée aux enfants en Afrique, Juin 2011, pp.10-21 ; Commission Internationale de Juristes- Fédération des juristes africains, Les services juridiques en milieu rural, rapport d'un séminaire tenu à Libreville du 1er au 5 février 1998, 152p.

1712 DIAGNE (P.), « Accès à la justice dans les quartiers urbains pauvres : Dakar, Abidjan, Niamey, Ouagadougou », in Pauvreté et accès à la justice en Afrique Impasses et Alternatives, L'Harmattan, 1995, p.27-

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Il apparait indispensable que toute institution ou association qui se propose de travailler le thème de la protection avec une communauté donnée utilise une approche adaptée. Il ne s'agit pas en fait que les communautés perçoivent l'approche comme une menace ou une sanction des modes de vie locales. Il est nécessaire au départ de bien connaitre et de respecter les traditions socio-culturelles locales. Cette condition est indispensable pour engager avec les membres de la communauté, un réexamen des pratiques locales au regard des droits de l'enfant. Il est clair que ce travail demande une durée suffisante pour établir une relation de confiance entre les personnes de la communauté et les intervenants extérieurs. Au fur et à mesure de la stabilisation de la relation, le travail de sensibilisation pourrait s'appuyer de manière croissante sur les membres de la communauté acquis au changement : en un mot, les propres membres de la communauté deviendraient à terme, des vecteurs de transmission des connaissances et comportements visant à renforcer l'effectivité des droits de l'enfant, son statut et sa protection au niveau local. Aussi, les interventions ayant comme objectif le changement des comportements seront couplées dans la mesure du possible avec des actions plus amples de développement local1713, des activités d'intérêt de la communauté (sports, loisirs, activités culturelles), des échanges sur les droits de l'enfant, etc.

Ces actions préventives doivent aussi s'étendre au niveau de la protection institutionnelle et des comportements à risque des enfants.

§ 2. LA PREVENTION DE LA VIOLENCE INSTITUTIONNELLE ET DES COMPORTEMENTS A RISQUE

Une protection particulièrement stricte des enfants dans les institutions d'accueil (A) et une attention accrue aux comportements à risque de la part des adolescents (B) pourraient contribuer à réduire le degré d'ineffectivité des droits de l'enfant en Côte d'Ivoire.

116 ; SAWADOGO (F.M), « L'accès à la justice en Afrique francophone : problèmes et perspectives. Le cas du Burkina Faso », in L'effectivité des droits fondamentaux dans la communauté francophone, éd. Aupel-Uref, 1994, p.295-313 ; NKOU MVONDO (P.), « La crise de la justice de l'Etat en Afrique noire francophone. Eudes des causes du divorce entre la justice et les justiciables », Penant, 1997, p.208-228. ; FRICERO (N.), « L'accès au juge » in Revue Annuelle des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation « justice et cassation », édition Dalloz, 2010, p.15.

1713 JAMBES (J-P), Territoires apprenants : esquisses pour le développement local du XXIème siècle, Paris, L'Harmattan, 2001, pp.16-17. ; BESSON (G.), Le développement social local : significations, complexité et exigences, Paris, L'Harmattan, 2008, p.191. ; PECQUEUR (B.), Le développement local. Pour une économie des territoires. Ed. : La découverte. Syros. 2000, 132p.

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A. UNE PROTECTION PARTICULIEREMENT STRICTE DES ENFANTS DANS LES INSTITUTIONS D'ACCUEIL

La protection des enfants dans les services et institutions1714 aura pour objectif la prévention et le contrôle de la violence institutionnelle1715.

Il faudrait à travers une politique claire, préciser davantage les mesures mises en place par l'institution pour assurer que les enfants qui y transitent ne soient l'objet d'une quelconque forme de violence. Elle devrait non seulement, mettre en exergue la politique de recrutement des personnels, mais aussi édicter des règlements auxquels les institutions et leur personnel sont soumis ; Aussi, devrait-elle établir des mécanismes indépendants de contrôle interne et de contrôle externe ; Pour effectuer le signalement ou l'avis à l'autorité judiciaire en vue de la transmission des allégations ou plaintes aux autorités compétentes en cas d'abus, des modalités claires devraient être précisées.

Les établissements scolaires1716 de tous les niveaux, les établissements sanitaires1717 et les structures de formation et de professionnalisation seront les institutions prioritairement visées par cette mesure. En concertation avec des ordres et associations professionnelles concernées, les ministères de tutelles de ces établissements privés ou publics, se doivent d'édicter des règlements de protection de l'enfant conformément aux termes ci devant précisés. Par la suite, il serait opportun de divulguer ces documents, d'engager des actions de formation, de développer des outils méthodologiques et, dans la mesure du possible, d'identifier des personnes relais de la protection de l'enfant au niveau des établissements.

Les institutions telles que les pouponnières, orphelinats, centres d'accueils, centres spécialisés pour les enfants porteurs de handicap, internats qui accueillent ou hébergent des enfants, sont soumises à des règles dictées par les autorités administratives de protection de

1714 ROSENCZVEIG (J.P.), Lettre ouverte aux directeurs d'établissements et autres intervenants en institution sur les réponses à apporter aux maltraitances à enfants et à personnes vulnérables, Publication de l'ANCE, 2000. ; CREOFF (M.), « Lutte contre les violences institutionnelles : un engagement de la puissance publique ».In. Journal du Droit des jeunes, Novembre 2001, n°209, pp.32-34.

1715 CORBET (E.), « Les concepts de violence et de maltraitance », adsp, n°31, juin 2000, p.20. ; TOMKIEWICZ (S.), VIVET (P.), Aimer mal, Châtier bien. Enquêtes sur les violences dans les institutions pour enfants et adolescents, Paris : Seuil, 1991.230 p.

1716 TOMKIEWICZ (S.), FABRE (M.), L'école et la violence, in Journal des jeunes, mai 1998, pp.13-25. 1717 AUFORT (C.), HOUDIN (J.), La peur dans les structures sanitaires et sociales, Management, Avril 2001, n°3, pp.3-15.

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l'enfant. Ces règles devraient de façon claire, définir les critères relatifs à l'ouverture et au fonctionnement de ces institutions, les standards de prise en charge et les mécanismes de surveillance externe et interne. Les dispositions devant être prises en cas de signalement d'une moindre indication de maltraitance infantile, notamment des attitudes à caractère sexuel devraient être prévues et précisées.

Par ailleurs, des codes de bonne conduite claires devant orienter les professionnels relativement aux modalités d'exercice de leurs prestations par rapport aux enfants, devraient être élaborés par les associations professionnelles. In fine, toutes ces mesures auraient pour résultat l'identification des cas de violences institutionnelles et l'application des dispositions prévues à cet effet. Il importe aussi que tous les services qui travaillent avec des enfants disposent d'un programme interne clair de protection de l'enfant.

De même, une attention doit être accordée aux comportements à risque des adolescents.

B. UNE ATTENTION ACCRUE AUX COMPORTEMENTS A RISQUE DE LA PART DES ADOLESCENTS

La période de l'adolescence peine à être reconnue comme une phase du développement qui a ses caractéristiques propres. Accédant à la puberté, l'enfant est à tort considéré parfois comme un adulte investi d'un certain nombre d'obligations ; ce faisant, son statut de personne en développement avec ses besoins spécifiques est nié. Or, selon les scientifiques, entre 12 et 15 ans, la personne humaine n'a pas encore fini son développement physique, cognitif, psychologique1718. Selon l'étude du processus de maturation cérébrale1719, le cortex préfrontal1720, partie du cerveau assurant le contrôle de conduites, et partant la capacité d'anticiper et de prévoir le raisonnement, l'auto contrôle, ne se développe pleinement qu'au début de l'âge adulte. Ainsi, tout adolescent se trouve dans une phase d'évolution

1718 FERNANDEZ (L.), Psychologie du développement, Editions. Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, 2002, 5p. ; MYERS (DG), « Développement de l'enfant » In. Myers DG éd. Psychologie, Paris : Medecine-Sciences Flammarion, 1997, pp.77-115 ; RICAUD-DROISY (H.), SAFONT-MOTTAY (C.) et OUBRAYIE-ROUSSEL (N.), « Psychologie du développement ». In Enfance et adolescence, Dunod, 45-70. 1719 JAY N. GIEDD, « Maturation du cerveau adolescent », In. Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants,Janvier 2011, p.28-31.

1720 LANDMANN (C.), Le cortex préfrontal et la dopamine striatale dans l'apprentissage guidé par la récompense : conception et étude d'une tâche cognitive d'exploration par essais et erreurs en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle et en tomographie par émission de positions avec le 11C-raclopride. Neurosciences. Université Pierre et Marie Curie-Paris VI, 2007.pp-15-20.

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instinctuelle, émotionnelle et morale ne lui permettant pas d'appréhender de façon sérieuse, les risques des pratiques préjudiciables à sa santé et son développement tels que la consommation de tabac, de l'alcool, la drogue, les comportements sexuels à risque (précoce, non protégé et ou en échange de rémunération), agressivité entre pairs.

Les facteurs explicatifs des comportements à risque des adolescents sont mal connus. Cependant, il va de soi que les adolescents bénéficiaires d'un faible encadrement (vie familiale, exclusion scolaire) seraient davantage exposés que les adolescents jouissant d'un suivi parental attentif et adapté, fréquentant l'école, etc.

Une des missions fondamentales de tout processus d'action sociale est incontestablement l'encadrement et l'orientation des jeunes. Les actions ou interventions à l'endroit des adolescents à comportements à risque doivent permettre la création des opportunités pédagogiques ; lesquelles opportunités pédagogiques seraient un tremplin d'acquisition de savoir, de connaissances, compétences et valeurs par les adolescents. Ainsi, fort de ces acquis pluriels et divers, ils pourraient faire des choix responsables quant à leurs relations sociales, y compris sexuelles. Ils doivent être mis en mesure de mieux comprendre les risques auxquels ils sont confrontés, de s'auto-protéger, de savoir où trouver de l'aide et d'adhérer aux propositions de la part des éducateurs. Ces objectifs pourront être atteints par la mise en place d'actions éducatives de proximité dans les lieux fréquentés par les adolescents, par la création de centres d'information et conseil pluridisciplinaires, par l'organisation d'activités de quartier et communautaires récréatives, artistiques, culturelles et sportives, par le soutien aux associations de jeunes et la création de plates-formes d'échange pour leur permettre de s'exprimer véritablement.

Ces mesures viseraient à prévenir les comportements à risque de la part des adolescents. Le résultat escompté est la diminution sensible des comportements à risque des adolescents. Pour être fondamentales, ces stratégies contribueraient, notamment, à la prévention de la commission d'infractions et l'entrée des adolescents dans le système de l'administration de la justice des mineurs1721.

1721 GACUKO (L.), La mise en oeuvre de l'article 40 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant au Burundi, thèse de doctorat, Université de Namur, 2012, 797p. ; TREMBLAY (A.), « Justice des mineurs : Quand la victime a voix au chapitre » In. Les cahiers de recherches criminologiques, cahier n°18, Université de Montréal-Centre international de criminologie comparée, 1994, 113p.

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Cependant, il peut arriver des situations où les mesures de prévention ne puissent empêcher la commission d'infractions à l'égard des enfants ainsi que des atteintes à leurs droits. Face à une telle hypothèse, le renforcement des mesures d'assistance aux enfants victimes s'avère nécessaire.

SECTION III. UN RENFORCEMENT BENEFIQUE DES MESURES D'ASSISTANCE AUX ENFANTS VICTIMES

Le renforcement des mesures d'assistance aux enfants victimes pourrait se décliner à trois niveaux : dans le cadre de la détection et la prise en charge des cas de violence ( Paragraphe1), la mise en place d'un système d'un système de substitution pour les enfants privés de protection parentale (Paragraphe 2) et le renforcement des conditions de lutte contre l'impunité (Paragraphe 3).

§ 1. DANS LE CADRE DE LA DETECTION ET LA PRISE EN CHARGE DES CAS DE VIOLENCE

Des méthodes de détection et de signalement plus perfectionnés des cas de violence(A) et une meilleure adaptation de la prise en charge par la création de systèmes locaux (B) contribueraient inéluctablement à une meilleure assistance des enfants victimes.

A. DES METHODES DE DETECTION ET DE SIGNALEMENT PLUS PERFECTIONNEES

La détection1722 et le signalement1723 des cas de violence affectant les enfants apparaissent indispensables pour des éventuels secours et assistance à l'enfant victime. L'efficacité du système de protection de l'enfant dépendrait en partie du renforcement de ces stratégies de détection et de signalement. Comment y arriver concrètement ?

1722 La détection est le fait de mettre en lumière un cas de violence touchant un enfant, de l'identifier en tant que cas quand existe des soupçons et/ou des preuves qu'un enfant est victime de maltraitance, négligence sévère, violence et/ou exploitation par un tiers et que par conséquent demande une intervention.

1723 Le signalement, comme entendu ici, est le fait de porter à la connaissance des autorités chargées de la protection de l'enfant des informations relatives à une détection , en vue d'une action de leur part. Il peut s'agir de faits observés directement, dont on est témoin, ou bien des propos entendus de personnes fiables et qui soulèvent des préoccupations quant aux dangers encourus par l'enfant.

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D'une part, il s'agira assurément d'opérer l'identification de tous les cas nécessitant une prise en charge et de réduire progressivement les risques de non détection. Pour ce faire, des stratégies multiples de détection et de signalement doivent être élaborées de façon à permettre l'intervention rapide des autorités ; cette intervention rapide des autorités aurait pour but l'évaluation de la situation et l'adoption de mesures appropriées. D'autre part, il apparait aussi nécessaire d'empêcher l'afflux de signalements non pertinents ou de signalements relatifs à des demandes ne pouvant être traitées ou satisfaites par les services de protection de l'enfant en termes de réponses appropriées ; car le contraire entrainerait un véritable engorgement des services administratifs ou judiciaires. A ce sujet, il apparait indispensable d'élaborer des guides clairs et précis orientant les différents acteurs chargés de la détection et du signalement1724.

La mise en place des différentes modalités de signalement commande de s'assurer que les services en charge du signalement soient véritablement opérationnels. Les personnes qui effectueront un signalement simple ou formel1725 ne transmettraient que des informations et ne devraient en aucun cas être tenue de rapporter la preuve des faits allégués.

Dans les localités situées à une distance acceptable des services administratifs en charge de la protection de l'enfant, les informations doivent être donnée de sorte que toute personne ayant détecté un cas de violence commis à l'égard d'un enfant puisse systématiquement avertir les autorités. Devrait être porté à la connaissance des autorités policières ou judiciaires, tout fait ou acte commis à l'égard d'un enfant et juridiquement qualifié d'infraction ou de violation.

Dans les localités n'abritant pas les autorités administratives et/ou judiciaires de protection de l'enfant, tout individu ayant identifié un cas de violation de droit ou de violence grave relatif à un enfant, se doit de transmettre immédiatement ces faits à la connaissance de l'autorité traditionnelle et s'assurer que celle-ci prenne rapidement une action corrective ; au cas où, les mesures prises par l'autorité traditionnelle s'avèrent insuffisantes, les autorités compétentes au niveau local et étatiques devraient être alertées afin de régler cette question.

1724 Réseau Wassila-Sos Villages d'Enfants Algérie, Le droit de l'enfant à la Protection : Plaidoyer pour le signalement des violences sexuelles sur enfant, 2010, 53p.

1725 Le signalement formel est un document écrit selon une formule convenue par lequel les services sociaux portent à la connaissance des autorités judiciaires (Procureur, Tribunal) un cas de violence touchant un enfant. Il décrit le cas et justifie le recours à la justice.

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Les Organisations nationales non gouvernementales (ONG) de protection de l'enfant pourraient, au besoin, servir de véritables relais entre la communauté et les autorités.

Dans l'hypothèse des cas jugés graves ou à défaut de présence de tout service social ou judiciaire, les représentants du préfet devraient rapidement être informés en vue de mettre en place une action rapide et efficace.

Par ailleurs, des dispositifs anonymes de signalement1726 se doivent d'être développés. Les dispositifs anonymes de signalement apparaissent plus que nécessaires dans les cas où l'anonymat pourrait encourager le signalement émanant de personnes souhaitant ne pas rendre publique leur identité en qualité d'auteurs du signalement et qui disposeraient des informations à transmettre aux services sociaux ou à la justice. Pour être utilisés par toute personne, ces dispositifs n'en sont pas moins des services de recours et de secours à la disposition des enfants eux-mêmes. Le signalement anonyme devrait être davantage possible grâce à la multiplication de services téléphoniques gratuits pour information, écoute, orientation, et dénonciation dénommée « Ligne verte ». La mise en place de ces services de signalement devrait être constamment portée à la connaissance de la population. Peuvent être aussi transmises directement aux autorités policières et judiciaires, quelques informations anonymes à toutes fins utiles.

Pour ce qui est de la détection et du signalement dans les services ou institutions au contact avec les enfants, les personnels de l'éducation, de la santé, de structures de sports, loisirs, culture doivent d'une part, avoir la maitrise d'une série d'indicateurs qui renseignent et alertent sur l'occurrence d'abus et qui réfèrent au comportement de l'enfant, et d'autre part, disposer de l'information afférente à la nécessité d'informer les autorités administratives de protection de l'enfant dans le cas d'un éventuel soupçon de violences commis à l'égard d'un enfant.

D'ailleurs, les fonctionnaires publics ont l'obligation de donner avis au Procureur dans tous les cas de connaissance d'un crime ou d'un délit1727. L'avis au Procureur est prôné pour tous les cas d'abus sexuel sans exception.

1726 Décret n°2008-1422 du 19 décembre 2008 organisant la transmission d'informations sous forme anonyme aux observatoires départementaux de la protection de l'enfance et à l'Observatoire national de l'enfance en danger (J.O.27 décembre 2008) », Journal du droit des jeunes 2/2009 (N°282), pp.46-47.

1727 Article 40 Code de procédure pénale « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, est tenu d'en donner

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De même, le renforcement d'un système de détection active au niveau des services chargés de la protection de l'enfant s'avère nécessaire.

La mise en place des stratégies et procédures de détection active de cas de violence affectant les enfants ressortit à la compétence de la police, de la gendarmerie et de l'inspection du travail. On le sait : dans l'exécution de leur mandat de prévention de la commission d'infractions à l'encontre de l'enfant, les services spécialisés de la police et de la gendarmerie ont la charge de contrôler les sites à risque pour les enfants ; cela passe généralement par le quadrillage et des rondes opérées sur ces sites que sont : maquis1728, boites de nuit, vidéoclub, jeux vidéo, marchés, gares routières, plages, bars climatisés, hôtels, sites de prostitution, cinémas. Après identification des cas à risque, ils devront immédiatement solliciter l'intervention des services sociaux ou passer à l'action en mettant l'enfant à l'abri car ce n'est toujours pas le cas en pratique.

En collaboration avec les forces de l'ordre, l'inspection du travail1729 et les services sociaux1730 chargés de la protection de l'enfant se chargeront de réaliser la détection active ; celle -ci devrait se réaliser par le biais de méthodes de surveillance des sites à risque pour les enfants (mines, plantations, carrières, transport, scieries, décharges, ports, abattoirs, chantiers de construction) où les enfants travaillent, souvent à la recherche de moyens de subsistance.

Les enfants vivant dans la rue et des adolescents ayant des comportements à risque doivent faire l'objet d'une approche singulière ; Comme déjà indiqué, les enfants en rupture familiale vivant dans la rue fuient souvent des foyers maltraitants et très démunis. De même, les adolescents qui de façon ostensible, s'adonnent à des comportements à risque sont des enfants en souffrance et leur comportement devrait être reçu et perçu comme un cri à l'aide. Partant, ces enfants méritent d'être approchés de manière appropriée par des travailleurs

avis sans délais au Procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

1728 Terme populaire usité en Côte d'Ivoire pour désigner les bars où se réunissent des personnes en vue de consommer l'alcool.

1729 L'inspection du travail est chargée de la surveillance de tout type d'entreprise formelle et/ou informelle, en particulier les lieux à risque pour les enfants (mines, plantations, carrières, transport, scieries, décharges, ports, abattoirs, chantiers de construction).

1730 Les services sociaux chargés de la protection de l'enfant (services de la protection spécialisée) sont responsables pour mettre en place des procédures de détection active des cas de violence, abus et exploitation concernant des enfants.

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sociaux dotés d'une expertise pédagogique adaptée à leur situation. En effet, le contact initial est extrêmement important en ce qu'il vise à instaurer les bases d'une relation de confiance et surtout mettre ces enfants en confiance. Cette relation de confiance désormais instituée entre le travailleur social et les enfants aura pour effet d'inciter ces enfants à recourir aux services de la protection spécialisée ou d'une association ayant des compétences dans le travail avec ces enfants. Cela serait un point de départ important pour engager un véritable processus de sortie de rue et de changement. Ce processus d'accompagnement des enfants vivant dans la rue, ne devrait se clôturer qu'avec la mise en place d'une solution définitive stable consistant, entre autres, à : un retour à la famille d'origine ou une intégration socio-économique autonome, ou encore, une intégration dans une structure éducative en vue d'un apprentissage ou d'une formation professionnelle.

Une forte contribution des organisations expertes en matière d'approche des enfants de la rue et développant des comportements à risque tels la prostitution ou la consommation de substances dangereuses, s'avèrent plus qu'utiles à la mise en place de ces approches spécifiques. En cela, ces organisations devraient être sollicitées par les pouvoirs publics à cette fin.

En vue d'améliorer la détection et le signalement des cas de violence, il apparait aussi pertinent que l'enfant et tout intéressé puisse directement solliciter une aide aux services sociaux. Pour ce faire, l'information nécessaire à la sollicitation directe d'une aide adaptée à chaque situation de violation de droits de l'enfant, auprès des services sociaux, devrait être mise à la disposition de l'enfant lui-même, des parents et autres adultes concernés. Pour une meilleure connaissance de ce type d'aide et en vue de son bénéfice par les enfants, les systèmes locaux de protection de l'enfant doivent procéder à la divulgation des informations précises et claires sur les différents services concernés, les conditions de recours à ces services et les services offerts aux enfants vivant dans leur localité.

Le processus de plainte1731 actionné par l'enfant victime ou ses parents, devrait aussi faire l'objet d'améliorations significatives. L'amélioration de l'accueil des victimes dans les services de police et de justice s'avère indispensable en vue de soutenir la plainte et limiter

1731 La plainte est l'acte par lequel la partie lésée par une infraction porte celle-ci à la connaissance du procureur de la République, directement ou par l'intermédiaire d'une autre autorité. Cf. GUINCHARD (S.) et DEBARD (T.), Lexique des termes juridiques, 23e édition, Dalloz, 2015, p.779. ; Voir aussi art.40. C.pr. pén. français.

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la double victimisation. Cet accueil comprendrait entre autres, un accueil physique adapté et l'assistance dans le dépôt de plainte et dans les démarches administratives. Dans la mesure du possible, les cas de protection de l'enfant directement portés à la connaissance de l'autorité policière par le biais d' une plainte devront être communiqués et référés par cette dernière aux services administratifs de protection de l'enfant ; Une fois saisis, ces services administratifs devront mettre en place un processus d'accompagnement de l'enfant et de la famille, et ce, parallèlement, avec l'éventuel processus de poursuite de l'auteur. Les actes de dénonciation1732 par les tiers devraient obéir au même régime que celui de la plainte.

Par ailleurs, une rationalisation du signalement formel1733 s'avère nécessaire dans les cas où, il existe la nécessité d'une intervention de l'autorité judiciaire, notamment dans les hypothèses suivantes :

- non adhésion de la famille au processus d'accompagnement et de changement proposé par le service administratif ;

- nécessité de soustraire l'enfant de la situation d'abus ou de son milieu de vie ;

- l'enfant est trouvé sur la voie publique, a été placé d'urgence et il est nécessaire de régulariser le placement d'urgence1734 par une ordonnance de placement1735.

Il est important que les services de protection spécialisée de l'enfant demeurent les destinataires préférentiels, voire exclusifs du signalement. Cette mesure viserait à assurer l'efficacité du système dans son ensemble. Les services administratifs de protection de

1732 En matière de procédure pénale, la dénonciation est l'acte par lequel un citoyen signale aux autorités policières, judiciaires ou administratives une infraction commise par autrui. La dénonciation est, dans certains cas, ordonnée par la loi. En France voir, C.pr. pén., art.91, 337 et 451. Cf. GUINCHARD (S.) et DEBARD (T.), Lexique des termes juridiques, 23e édition, Dalloz, 2015, p.351.

1733 Le signalement formel est une communication selon une formule convenue et par écrit de la part des services administratifs de la protection de l'enfant à l'autorité judiciaire (Procureur et/ou Juge) dans les cas où il existe la nécessité d'une intervention de sa part, notamment : non adhésion de la famille au processus d'accompagnement et de changement proposé par le service administratif ; nécessité de soustraire l'enfant de la situation d'abus et/ou de son milieu de vie (situation de danger décrite dans la législation ) ; l'enfant est trouvé sur la voie publique, a été placé d'urgence et il est nécessaire de régulariser le placement d'urgence par une ordonnance de placement.

1734 MIGNAVAL (A.), Comprendre les spécificités de l'accueil en urgence dans un foyer de l'enfance à travers l'étude de la temporalité, Mémoire de l'Ecole Nationale de la Santé Publique, 2005, 82p.

1735 GEBLER (L.), « L'enfant et ses juges », AJ Famille, 2007, p.390 et s. LAURENT (C.), « Le placement de l'enfant et le droit au respect de la vie familiale », JDJ n°233, mars 2004, p.19-25. ; RAYNAL F.), « Le juge des enfants sous tension », ASH n°2695 du 04/02/2001, pp.36-39.

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l'enfant se doivent d'avoir l'obligation désormais de donner une suite aux signalements. Ils doivent également s'efforcer de prendre des mesures adaptées afin de vérifier et évaluer attentivement in situ, tout cas signalé ; Cela pourrait ressortir à la compétence de ces services administratifs, ou une autorité locale, voire, une personne digne de confiance, le cas échéant. La suite de la prise en charge par les services eux-mêmes et/ou d'un signalement formel à l'autorité judiciaire sera décidée après un minutieux examen au cas par cas.

A côté de cela, l'instauration d'un système local efficace de prise en charge des enfants victimes de violence apparaît également comme une mesure importante à mettre en oeuvre.

B. UNE MEILLEURE ADAPTATION DE LA PRISE EN CHARGE PAR LA CREATION DE SYSTEMES LOCAUX

Pour être une mesure nécessaire, ce système s'il est mis en place devrait pouvoir assurer une assistance adéquate aux enfants victimes et à leurs familles. La prise en charge des enfants victimes de toute forme de violence, abus et exploitation vise à assurer la mise en oeuvre du droit de l'enfant au rétablissement1736.

L'assistance aux enfants exposés ou sujets à une violation est une responsabilité que l'Etat doit assumer sur toute l'étendue de son territoire1737, sous peine de commettre une omission grave en référence à sa mission de protection des citoyens et renoncer à l'Etat de droit1738.

Les services de protection de l'enfant devraient intervenir en soutien aux parents et à la communauté lorsqu'ils se déparent avec des difficultés majeures difficilement gérables au niveau local ou que la gravité de la situation impose une intervention à l'autorité de l'Etat.

Devrait faire l'objet d'évaluation rapide en vue d'une prise en charge réalisée par ou sous la supervision des services chargés de la protection de l'enfant, chaque cas identifié ou porté à la connaissance des autorités compétentes par le signalement, la plainte, la dénonciation.

1736 Droit à la réhabilitation psycho physique et sociale- CDE, art. 39.

1737 Sur la question du territoire de l'Etat, voir CANAL-FORGUES (E.), et RAMBAUD (P.), Droit international public, 2e édition, Champs Université, Paris, 2011, pp.156-159.

1738 MILLARD (E.), « L'Etat de droit : Idéologie contemporaine de la démocratie. » J.M. Février & P. Cabanel. Question de démocratie, Presses universitaires du Mirail, 2001, pp.415-443.

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Une pluralité d'objectifs devrait s'attacher à tout processus de prise en charge : la sécurisation et la récupération physique et émotionnelle de l'enfant, le rétablissement d'une dynamique familiale saine et la stabilisation de la situation sociale de l'enfant et de la famille.

La prise en charge de l'enfant tiendra constamment compte du contexte environnemental, surtout familial de l'enfant afin d'y apporter la réponse la plus adéquate. Cette prise en charge loin de sacrifier l'intérêt supérieur de l'enfant, se doit de sauvegarder et renforcer les liens familiaux et communautaires. En un mot, toute action relative à la protection de l'enfant ne devrait jamais aboutir au relâchement des liens familiaux ou à la démission parentale1739.

Pour être un système efficient et local de prise en charge, il est primordial que l'entrée dans le système de prise en charge, le processus de prise en charge, les prestations minimum, le recours à l'autorité judiciaire pour l'application de mesures de protection ainsi que le système de prise en charge fassent l'objet de définitions ou de clarifications précises.

L'entrée dans le système de prise en charge devrait être ouverte, aux cas de violence affectant les enfants identifiés par les institutions suivantes: les services de santé qui accueillent l'enfant aux fins de dispense de soins médicaux; les services de sécurité et justice qui accueillent la plainte ou la dénonciation émanant des parents, tuteurs ou des tiers ; les services administratifs de protection de l'enfant qui accueillent directement la/les personne(s) concernée(s), qui reçoivent le signalement ou qui constatent des cas par les modalités de détection ; les établissements scolaires qui constatent les signes de maltraitance, abus et exploitation et alertent les autorités administratives, sécuritaires et judiciaires compétentes de protection de l'enfant ; puis tout autre service et modalité efficaces de détection et signalement.

Dans tous les cas de figure et autant que faire se peut, les cas détectés par les différentes modalités d'entrée dans le système de prise en charge, devraient dans les brefs délais, être portés à la connaissance des autorités administratives de protection de l'enfant. Les services de la protection spécialisée auront en charge la mise en place et la supervision de l'ensemble du processus de prise en charge de l'enfant et d'accompagnement de la famille.

1739 MUCCHIELLI, « La démission parentale en question : un bilan des recherches », Questions pénales, septembre 2000, XIII-4, p.3. ; GIOVANNONI L., « La démission parentale facteur majeur de délinquance : mythe ou réalité ? », In. Sociétés et jeunesses en difficulté, n°5, Printemps 2008, disponible sur http://sejed.revues.org/3133 (consulté le 21/08/2016).

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La responsabilité de l'autorité administrative de protection de l'enfant demeure entière y compris quand elle s'appuie sur des services non publics pour l'exécution des diverses tâches de gestion du cas. Les cas particuliers non assujettis au recours à l'autorité judiciaire en raison de leurs spécificités devront être totalement placés sous la supervision de l'autorité administrative.

Quant aux cas transférés à l'autorité judiciaire, les services administratifs demeurent responsables du suivi de la mise en oeuvre effective des décisions du juge des enfants.

Dans les localités marquées par l'absence d'autorité administrative de protection de l'enfant, les autorités coutumières, en collaboration avec les membres de la communauté, devront assurer des règlements pris dans l'intérêt supérieur de l'enfant ; Mieux, ces autorités coutumières devraient accompagner l'enfant et sa famille, jusqu'à une transformation favorable à l'enfant. Elles devront en référer aux autorités les plus proches dans les cas qui exigent une intervention extérieure de par leur gravité ou complexité.

Pour ce qui est du processus, les services administratifs en charge des enfants très exposés et/ou ayant subi une violation sont les services de la protection spécialisée. Les services de protection spécialisée cibleront en même temps les enfants exposés et/ou victimes de violences physiques ou psychologiques, violences sexuelles, abandon, en situation d'isolement et précarité extrêmes suite à la rupture des liens familiaux et communautaires. Au sein des services de protection spécialisée, la priorité sera accordée à ces enfants.

Le processus de prise en charge visera à mettre à l'abri des victimes et leur permettre de retrouver un état suffisant de bien-être physique et psychologique par la mise en place d'une assistance adéquate.

Tout cas de violation détecté de quelque forme que ce soit induit la responsabilité de l'autorité de protection de l'enfant par rapport à la prise en charge du cas jusqu'à sa résolution. A la suite de la détection ou du signalement simple, les services chargés de la protection de l'enfant, auront l'obligation de s'occuper du cas jusqu'à l'obtention d'un résultat positif pour l'enfant et sa famille. Le responsable du service répondra aux autorités supérieures quant à l'attente de ce résultat.

Le processus de prise en charge, d'accompagnement peut être long et laborieux, dépendant de la profondeur du traumatisme et des dynamiques familiales en place. La prise

en charge ne parviendra à son terme qu'avec la mise hors danger, la stabilisation émotionnelle et la normalisation des conditions de vie de l'enfant au sein de son milieu familial.

Le processus de prise en charge doit être individualisé et personnalisé. En effet, tout cas nécessitant une mesure de protection met en évidence une situation particulière de l'enfant affecté au regard de plusieurs critères : son âge, la relation avec l'auteur, le type et la durée de la situation de violence, abus et/ou exploitation, l'entourage familial et communautaire et sa résilience. Le cas devrait être d'abord reconnu en tant que cas singulier et traité de manière individualisée et personnalisée. L'appui psycho-social1740 à la victime et la reconstitution de dynamiques familiales et communautaires positives seront au centre du processus de prise en charge. L'outil central de la gestion des cas de protection spécialisée pourrait être la médiation familiale1741, qui se propose de reconstituer les liens et de rétablir une dynamique familiale saine.

En sus, l'autorité administrative se doit d'organiser les services de manière à assurer que les prestations minimum de prise en charge soient disponibles et fonctionnelles. Elles seront dispensées directement par les services sociaux avec, au besoin, le concours de leurs partenaires agréés. Les prestations minimum devraient être bien définies et précisées ; elles devraient comporter à titre indicatif les éléments suivants : l'accueil, l'écoute1742, l'ouverture de dossier, la référence et le suivi de l'hébergement d'urgence en cas de nécessité, la référence et le suivi de la référence des soins d'urgence, si nécessaire ; la recherche de la famille, au besoin, en collaboration avec la Police ou la Gendarmerie et toute autre institution appropriée ; l'étude personnelle et sociale de l'enfant ; la détermination d'un plan de prise en charge ou de gestion du cas en concertation avec l'enfant et ses responsables, comprenant

1740 CENTRE DE REFERENCE DE LA FEDERATION INTERNATIONALE POUR LE SOUTIEN PSYCHOSOCIAL, « Les interventions psychosociales ». In. Manuel, Paramedia , Danemark 2010, pp.23-52. ; A titre d'exemple, voir MINISTERE DE L'EDUCATION NATIONALE- REPUBLIQUE DE COTE D'IVOIRE- UNICEF, Guide de formation de base sur l'appui psychosocial en milieu scolaire, 2011, 48p. 1741 La médiation est un mode pacifique de règlement des conflits qui a pour but de faire intervenir une tierce personne dans un différend opposant des individus ou des groupes. Il s'agit pour la médiatrice d'aider les protagonistes à régler par eux-mêmes leur litige, en rétablissant au préalable entre eux la communication

1742 Commission Fédérale pour l'enfance et la jeunesse (CFEJ)-Confédération Suisse, A l'écoute de l'enfant. Le droit de l'enfant d'exprimer son opinion et d'être entendu. Rapport de la Commission Fédérale pour l'enfance et la jeunesse (CFEJ), CFEJ, Berne, novembre 2011 pp.33-57, DELFOS Martine F., De l'écoute au respect, communiquer avec les enfants, Toulouse, ERES, « Enfance et parentalité Su», 2007, pp.61-153.

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des actions précises (accompagnement médical et pour la réalisation d'expertises, prise en charge psycho-sociale, médiation familiale, placement provisoire de l'enfant, conseil juridique ; prise en charge psychothérapeutique, psychiatrique, de santé mentale, services d'assistance juridique) ; la mise en oeuvre des mesures ou actions prévues dans le plan de prise en charge ou de gestion du cas ; le suivi et l'évaluation puis la clôture du dossier.

Le recours à l'autorité judiciaire pour l'application de mesures de protection s'avère aussi indispensable pour assurer l'effectivité. En matière de protection de l'enfant, la priorité devrait toujours être accordée à la responsabilité des parents et au maintien de l'enfant dans son environnement familial. Cette tâche, comme il a déjà été dit, incombe aux services administratifs de protection de l'enfant ayant l'expertise appropriée à la réalisation de l'accompagnement des enfants et des familles vers une normalisation des relations et une mise à l'abri de l'enfant des dangers.

La protection judiciaire joue un rôle subsidiaire par rapport à l'autorité administrative1743. Ce rôle se définit par la prise des décisions judiciaires qui s'imposent aux parents et qui sont non négociables. La justice fonctionne pourtant comme un recours pour les services de protection spécialisée. En effet, le processus de résolution de certains cas de protection de l'enfant se solde parfois par un échec ponctué par l'épuisement de toute possibilité de médiation familiale ; ce faisant, les autorités administratives se trouvent dans l'incapacité de régler ces cas. Il en va ainsi dans les hypothèses où les parents n'adhèreraient pas au processus d'accompagnement et de changement suggéré par le service administratif. L'enfant se retrouve dans une situation mettant en danger son intégrité physique et psychologique et en conséquence, il serait nécessaire de le soustraire de la situation d'abus par tout moyen.

Il sera nécessaire de changer la garde de l'enfant1744 lorsque le travail d'accompagnement de la famille n'aboutit pas à un résultat. Dans ces circonstances, les travailleurs sociaux doivent transmettre le cas directement aux autorités judiciaires1745 par le truchement d'un

1743 CAISSE NATIONALE D'ALLOCATIONS FAMILIALES (CNAF), « Entre la prise en charge judiciaire et administrative. Deux points de vue différenciés », Informations sociales 4/2007 (n°140), pp.96-103. 1744 GUIAVARCH (J.), La place des parents dans le cadre de la protection de l'enfance, Mémoire professionnel 2012, p.32-44 ; MALAURIE (P.). et FULCHIRON (H.), Droit civil. Droit de la famille, 5e édition, L.D.D.J., 2016, pp. 694-699.

1745 Par autorités judiciaires, nous entendons ici, le Juge des enfants, le parquet ou le Commissariat

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signalement formel pour la prise de mesures adéquates. Dans les cas où le juge prononcerait une décision relative au retrait de l'enfant et à son placement provisoire1746, il serait indiqué que la mise en oeuvre de la décision de placement soit confiée aux services de protection spécialisée qui se chargeraient de trouver le placement le plus adapté.

Dans les cas où l'enfant est trouvé sur la voie publique et nécessite un placement d'urgence, le recours dans les plus brefs délais à l'autorité judiciaire devrait aussi s'imposer comme une règle en la matière. Le recours à l'autorité judiciaire s'imposerait aussi dans le cas où l'enfant a perdu de facto la protection parentale et nécessite un placement.

Au cours du processus de prise en charge de l'enfant, on observe l'intervention d'une pluralité d'acteurs dans la prestation de services : le système de santé, le système de la protection spécialisée et le système judiciaire. En effet, la protection de l'enfant relève concomitamment des professionnels de santé pour les examens et les soins médicaux, des services sociaux en charge de l'accompagnement de l'enfant et de sa famille, de la police pour une éventuelle enquête criminelle, du parquet chargé de décider d'une éventuelle inculpation, du système judiciaire enfin appelé, dans certains cas, à appliquer des mesures protectrices à l'égard de l'enfant d'une part, et à statuer sur la culpabilité ou l'innocence de l'auteur présumé, d'autre part.

Le système de prise en charge mériterait d'être modélisé et formalisé de manière à assurer que les rôles et responsabilités de chaque structure soient bien définies, que les relations de référence et de contre-référence entre elles soient claires et que chaque structure fonctionne de manière complémentaire avec les autres. Ce système devrait également se baser sur un partenariat institutionnel efficace, capable de favoriser la coordination et la complémentarité des différents intervenants et de garantir la continuité dans l'accompagnement de l'enfant et de sa famille, jusqu'à la résolution du cas. Chaque institution n'est pas seulement chargée de collaborer avec les autres structures, mais fait partie intégrante d'un système. La finalité du système de prise en charge est de répondre à l'impératif de protection et de récupération de l'enfant victime et d'éviter la double victimisation des enfants qui serait engendrée par l'absence de coordination entre les institutions concernées : ce n'est pas l'enfant qui doit

1746 GUIAVARCH (J.), La place des parents dans le cadre de la protection de l'enfance, Mémoire professionnel 2012, p.14, (Pour elle, le placement provisoire constitue une atteinte aux droits parentaux dans le but de protéger l'enfant.).

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s'adapter aux exigences des diverses institutions mais il appartient à celles-ci de mettre au coeur de leurs actions, l'intérêt supérieur de l'enfant par une véritable prise en compte de ses besoins. Basé sur une coordination efficace, le travail en réseau1747 apparait ainsi fondamental dans tout processus de prise en charge et d'accompagnement au titre de la protection spécialisée.

En sus, les enfants privés de protection parentale devraient bénéficier d'un système de protection de remplacement mis en place pour leur bien-être.

§ 2. LA MISE EN PLACE D'UN SYSTEME DE SUBSTITUTION POUR LES ENFANTS PRIVES DE PROTECTION PARENTALE

La protection de remplacement est une mesure visant à assurer la protection temporaire des enfants et à faciliter le retour des enfants au sein de leur famille quand cela est possible1748. Dans l'idéal, il s'agit donc d'une mesure temporaire. Il peut s'agir d'une mesure de protection dans l'attente d'un regroupement familial1749, par exemple pour des enfants migrants non accompagnés ou séparés de leur famille1750. Ici, l'objectif spécifique serait

1747 MERINI (C.), « Le partenariat en formation. » In. BRODEUR (C.) et ROUSSEAU (R.), L'intervention de réseaux, une pratique nouvelle, Montréal, Edition France-Amérique, 1984. (Il y définit le réseau comme une connexion non stabilisée d'opérations unies dans un système d'action ayant trait à la question éducative et au problème commun que les partenaires cherchent à résoudre) ; MERINI (C.), Le partenariat en formation : de la modélisation à une application, L'Harmattan, 1999. (Quant à M.C. GUEDON, il distingue le réseau primaire et le réseau secondaire. Les réseaux primaires sont « une entité collective, et non un enchainement de relations focalisées sur un individu donné, tous les membres d'un même réseau se connaissent les uns et les autres ; il s'agit d'un groupement « naturel » d'individus, les liens unissant ces derniers étant de nature affective, positive ou pas, plutôt que fonctionnels » ; Il ajoute que les institutions sociales peuvent être définies comme des réseaux secondaires basés sur des liens entre les individus mais des liens uniquement fonctionnels. Ce type de réseau est construit par les institutions en vue de répondre à des exigences de nature fonctionnelle. Elle précise que ces réseaux sont de type formel. Voir COMPAN (C.), Le partenariat dans la protection de l'enfance : des enjeux identitaires et organisationnels, Mémoire DEIS, Université Toulouse-Le Mirail, 2012 p.27.

1748 ONU, Assemblée Générale (2010), Lignes directrices relatives à la protection de remplacement pour les enfants, A/RES/64/142, 24 février 2010, points 48 à 51. ; ONU, Comité des droits de l'enfant (2013), Observation générale n°14 (2013) sur le droit de l'enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (art.3, para.1), CRC/C/GC/14, points 58 à 70.

1749 Sur le regroupement familial, voir BAUDET (V.), « Regroupement familial : l'acharnement », Plein droit 1/2008 (n°76) p.366. ; DOLLAT (P.), Le droit de vivre en famille et le regroupement familial en droit international et européen, RFDA 2009, p.698 s. SAROLEA (S.), Quelles vies privée et familiale pour les étrangers ? R.Q.D.I., 2000, pp.247-285.

1750 ONU, Assemblée Générale, Convention relative aux droits de l'enfant, 20 novembre 1989, art.22 ; ONU, Comité des droits de l'enfant, Observation générale n°6 (2005), Traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d'origine, CRC/GC/2005/6, 1er septembre 2005, points 81 à 83.

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d'assurer que les enfants privés de protection parentale vivent dans un environnement familial et communautaire devant leur permettre d'oublier l'absence de protection de remplacement. Mieux, cela permettrait d'aboutir à une diminution sensible du nombre d'enfants ne vivant pas dans un cadre familial.

On ne le dira jamais assez : tous les enfants ont le droit fondamental de grandir dans leur famille d'origine, d'être élevés par leurs parents et de n'être séparés de leur famille qu'exceptionnellement dans les cas où cela soit absolument nécessaire1751. Pour assurer ce droit fondamental, il serait indiqué d'envisager tout d'abord, la mise en place de stratégies de prévention de la séparation des enfants de leur famille. Les interventions cibleront les mères et les familles à risque de séparation ; elles porteront sur des actions de soutien, y compris financier1752, aux parents pour qu'ils soient en mesure d'assumer pleinement la responsabilité d'élever leur enfants.

Des mesures devraient être prises afin de permettre aux enfants privés de protection parentale1753 de pouvoir jouir du droit de vivre dans un environnement familial.

Il importe de recourir à différentes formes de protection de remplacement qui se substitueraient à celles qui n'existent plus (A) ; mais cette protection de substitution devrait être conditionnée par une meilleure implication des autorités administratives et judiciaires (B).

1751 Art. 5 et 9 de la CIDE, « Les Etats parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu'ont les parents (...) de donner à l'enfant ; ONU, Conseil des droits de l'homme (2009), Lignes directrices relatives à la protection de remplacement pour les enfants, A/HRC/11/L.13, 15 juin 2009.

1752 CENTRE D'ANALYSE STRATEGIQUE, Rapport « Aider les parents à être parents »- Septembre 2002, pp.156-160, disponible sur : www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000489.pdf (Consulté le 05/06/2017); Une première série de dispositifs de soutien à la parentalité fondé sur le principe des incitations financières peut être identifiée au sein des programmes de « transferts monétaires conditionnels » ou (Conditional cash Transfers). Selon la banque mondiale, ces derniers peuvent se définir comme « des subventions aux ménages à condition qu'ils effectuent certains types d'investissements prédéterminés dans le capital humain de leurs enfants » (Cf. BANQUE MONDIALE, Conditional Cash Transfers : Reducing Present and Future Poverty, Policy Research Report. 2009.

1753 Les enfants privés de protection parentale sont : Les enfants ayant perdu de facto la prise en charge familiale, les enfants victimes d'abandon anonyme, les enfants dont l'intégrité physique et psychologique est en danger et ceux retirés de la famille par l'Autorité judiciaire, les enfants séparés non accompagnés de la famille du fait des conflits et autres calamités naturelles.

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A. LES DIFFERENTES FORMES DE SUBSTITUTION SUSCEPETIBLES D'ETRE ENVISAGEES

Tenant compte de l'intérêt supérieur des enfants privés de protection parentale, la priorité sera accordée aux solutions temporaires dans un premier temps avant de rechercher les solutions de nature définitive, et ce, suivant chaque cas ; en d'autres termes, non sans négliger les solutions définitives, la priorité devrait être donnée aux solutions de type familial.

Le placement temporaire1754 de l'enfant est une mesure prise par l'autorité judicaire et mise en oeuvre avec le concours de l'autorité administrative de protection de l'enfant. Elle vise à organiser temporairement l'existence de l'enfant en prenant soin de tous ses besoins et en préparant progressivement son retour dans sa famille d'origine, nucléaire ou élargie.

Conscient que toute séparation de l'enfant d'avec ses parents pose un problème de dynamique familiale, distension, sinon, rupture des liens, démission parentale, le placement temporaire sera le plus bref possible et se fera de préférence par des solutions de proximité, soutenues par les règles coutumières de solidarité communautaire1755 ponctuées par le placement informel1756.

Dans l'attente de la réunion des conditions pour un retour de l'enfant dans sa famille d'origine, des familles d'accueil formelles seront organisées pour recevoir l'enfant. Le droit international confirme que la prise en charge dans le cadre familial comme un placement dans une famille d'accueil apparait être la forme la plus adaptée de protection de remplacement garantissant la protection et le développement de l'enfant. Ceci est confirmé par les Lignes directrices relatives à la protection de remplacement pour les enfants de l'ONU et la Convention de l'Onu relative aux droits des personnes handicapées dont la Côte

1754 MESSAN (A.), « Le placement des enfants dans un contexte de crise au Togo » In. Enfants d'aujourd'hui-diversité-pluralité des parcours, colloque international de Dakar (10-13 décembre 2002), n°11, Tome1, PUF, 2006, pp.195-203.

1755 A NTOINE (P.) et GUILLAUME (A.), « Une expression de la solidarité familiale à Abidjan : enfants du couple et enfants confiés », in : Familles d'aujourd'hui : démographie et évolution récente des comportements familiaux, Paris, 1986, pp.289-297. ; DELPECH (B.), « La solidarité populaire abidjanaise en chiffres et en dires », Cahiers de l'ORSTOM, Série Sciences Humaines, vol XIX, N°4, pp.551-566. ; JONCKERS D., « Les enfants confiés » in Mélanges et Familles en Afrique : Approches des dynamiques contemporaines, Les Etudes de CEPED n°15, CEPED, ENSEA, ORSTOM, URD, 408p.

1756 Les lignes directrices des Nations Unies relatives à la protection de remplacement pour les enfants traitent du placement informel aux § 75 à 79 : https://www.sosve.org/wp-media/uploads/2015/10/101012-UN-Guidelines-fr-WEB.pdf(consulté le 22/08/2016).

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d'Ivoire est signataire1757. D'ailleurs, s'agissant de la situation de l'enfant handicapé, la CPRD déclare expressément que « Les Etats parties s'engagent, lorsque la famille immédiate n'est pas en mesure de s'occuper d'un enfant handicapé, à ne négliger aucun effort pour assurer la prise en charge de l'enfant par la famille élargie, et si cela n'est pas possible, dans un cadre familial au sein de la communauté »1758

Le placement temporaire de l'enfant dans un centre d'accueil privé ou public ne devrait être envisagé que comme solution de dernier recours, si et seulement si, cette mesure correspond à l'intérêt supérieur de l'enfant et/ou que d'autres solutions alternatives de nature familiale ne sont pas disponibles et/ou adaptées. En effet, le placement en dehors du foyer parental, comme un éventuel placement en institution « devrait être limité aux cas où cette solution est particulièrement appropriée, nécessaire et constructive pour l'enfant concerné et répond à son intérêt supérieur »1759. Mieux, des efforts devraient être consentis en vue d'éviter le placement des enfants en bas âge en centre d'accueil.

Toutefois, dans toutes les hypothèses de séparation et si cela s'avère nécessaire, il serait opportun de garantir la continuité du contact entre les enfants et leurs parents et de soutenir la réunification familiale dès que possible.

Dans les cas où le retour de l'enfant dans la famille d'origine s'avèrerait impossible, ce dernier serait placé définitivement dans un cadre familial stable de substitution à travers l'adoption qui constitue un moyen de protection important mais subsidiaire de l'enfant privé de famille1760. Mieux, selon le droit international, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être la considération primordiale dans les affaires d'adoption1761. L'observation générale n°14 du

1757 ONU, Assemblée Générale (2010), Lignes directrices relatives à la protection de remplacement pour les enfants, A/RES/64/142, 24 février2010, points 20 à 22 ; ONU, Comité des droits de l'enfant (2006), Observation générale n°7 (2005), Mise en oeuvre des droits de l'enfant dans la petite enfance, CRC/C/GC/7/Rev.136 (b), 20 septembre 2006, point 18. ONU, Convention relative aux droits des personnes handicapées (CPRD), 13 décembre 2006, art.23 (5) (voir également art.7).

1758 ONU, Convention relative aux droits des personnes handicapées (CPRD), 13 décembre 2006, art.23 (5). 1759 ONU, Assemblée Générale (2010), Lignes directrices relatives à la protection de remplacement pour les enfants, A/RES/64/142, 24 février 2010, point 21.

1760 LAMMERANT (I.), « L'évolution et les enjeux de l'adoption nationale et internationale » , journées de formation pluridisciplinaire-Fondation Charles-Coderre 5,6 et 7 mai 2004, R.D.U.S.n°35, 2005, pp.327-353. ; voir aussi LAMMERANT (I.), L'adoption et les droits de l'homme en droit comparé, L.G.D.J., Paris et Bruylant, Bruxelles, 2001, n°s 75-76.

1761 Conférence de la Haye de droit international privé, Convention de la Haye sur la Protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, 29 mai 1993, art. 1(a).

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Comité des droits de l'enfant est à cet égard pertinente car elle évoque le « droit de l'enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale »1762. L'adoption plénière d'un enfant est une solution subsidiaire à laquelle on ne saurait avoir recours que lorsque celui-ci est définitivement privé de son milieu familial1763. Le recours exceptionnel à l'adoption explique le fait que cette mesure doit avoir comme finalité d'offrir une famille à l'enfant et non pas l'inverse. En effet, la CIDE comme la Convention de la Haye du 29 mai 1993 relative à la coopération en matière d'adoption internationale pose très clairement le principe de subsidiarité de l'adoption par rapport au maintien de l'enfant dans sa famille d'origine1764.

Ce faisant, l'adoption nationale1765 sera priorisée, l'adoption internationale1766 devant rester une solution de dernier recours, une fois épuisées toutes les possibilités de faire adopter l'enfant par une famille ivoirienne.

Pour les enfants qui ne peuvent pas retourner dans la famille d'origine et ne sont pas adoptables et/ou adoptés, l'Etat disposera d'un réseau de centres d'accueil de petite taille, s'approchant dans leur composition et leur fonctionnement le plus possible d'une famille, pour des placements de longue durée.

Toutefois, pour atteindre les objectifs escomptés, le rôle des autorités administratives et judiciaires se doit d'être renforcé dans la mise en oeuvre de ces différentes formes de protection de remplacement.

1762 ONU, Comité des droits de l'enfant (2013), Observation générale n°14 (2013) sur le droit de l'enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (art.3, para.1), CRC/C/GC/14, art.3, para.1. 1763 MURRAT (P.), « L'évolution du droit de l'adoption en Europe », in Le statut juridique de l'enfant dans l'espace européen, 2004, Bruylant, p.119 et s. spéc. p. 125 et s.

1764 Article 4b de la Convention de la Haye. Pour la CIDE, voir le préambule, les articles 7, 20-2 et 20-3 et 21-b.

1765 SERVICE SOCIAL INTERNATIONAL, Evaluation du système d'adoption nationale et internationale en Côte d'Ivoire, mai 2010, 33p.

1766 CANTWELL (N.), « Adoption internationale-Commentaire du nombre d'enfants adoptables et du nombre de personnes qui cherchent à adopter au niveau international », Protection internationale de l'enfant. La lettre des juges publiée par la Conférence de la Haye de droit international privé, t. V., printemps 2003 aux pp.69-73. ; PARA-ARANGUREN (G.), Rapport explicatif à la Convention du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale. Bureau permanent de la Conférence, La Haye, 1994, n°s 6-7. Pour les travaux préparatoires, voyez aussi H. Van LOON, « Rapport sur l'adoption d'enfants originaires de l'étranger » dans Conférence de la Haye en droit international privé. Actes et documents de la Dix-septième session 10 au 29 mai 1993, tome II, Bureau permanent de la Conférence, La Haye, 1994 aux pp.10-119.

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B. UNE PROTECTION DE SUBSTITUTION CONDITIONNEE PAR UNE MEILLEURE IMPLICATION DES AUTORITES ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES

Dans le domaine de la protection de remplacement, les autorités administratives chargées de la protection de l'enfant exercent plusieurs missions de façon exclusive. Pour l'essentiel, ces missions sont : le suivi permanent des services et institutions hébergeant des enfants ; la mise en place des procédures rigoureuses pour l'abri d'urgence, l'identification, la localisation et le retour en famille des enfants trouvés sur la voie publique ; l'organisation et la fourniture des ressources suffisantes pour la mise en place des différentes options pour l'abri d'urgence, le placement temporaire et le placement de longue durée, en donnant la préférence à la mise en place de réseaux de familles d'accueil et en utilisant le placement institutionnel comme dernier recours ; la sélection, la formation et la supervision des familles d'accueil ; la vérification de l'existence d'une ordonnance formelle de placement pour tout enfant placé en dehors de sa famille ; l'élaboration des normes et standards pour les différentes modalités de protection de remplacement (familles d'accueil , centres d'accueil ) ; l'organisation des processus d'adoption1767 par la mise en place d'une autorité centrale1768 comme le fait le Mali1769, pour les adoptions nationales et internationales et relatifs aux mécanismes de surveillance ; la définition d'un système de sanctions administratives pour les institutions publiques ou privées qui fonctionneraient sans disposer d'agrément1770 et/ou sans respect des normes et standards de prise en charge ; la supervision de la sécurité, le

1767 LAVALLEE (C.), « L'adoption coutumière et l'adoption québécoise : vers l'émergence d'une interface entre les deux cultures ? », Revue générale de droit, vol.41. n°2, pp.655-702. ;

1768 Actuellement, deux procédures d'adoption coexistent en Côte d'Ivoire : les adoptions réalisées sous le contrôle de la DPS et les adoptions « indépendantes » qui sont un véritable système parallèle d'adoption. La DPS a été créée en 2006 et l'adoption est entrée dans la compétence de la DPS car elle est en charge des structures sociales qui accueillent et protègent les enfants vulnérables, parmi lesquels les enfants abandonnés. Or dans la mesure où ces derniers ne devraient pas passer toute leur vie en institution, le Ministère a décidé dans leur intérêt supérieur, de leur trouver des familles adoptives. Cette décision s'est traduite par un arrêté portant création d'un Comité de placement familial logé à la DPS.

1769 Au Mali, la Protection et la promotion de l'adoption internationale est assurée par la Direction nationale pour la Promotion de l'Enfant et de la Famille (DNPEF) prise en sa qualité d'Autorité Centrale. Il existe également une série d'institutions publiques et privées d'accueil et de placement des enfants qui peuvent faire l'objet d'une adoption filiation. Peuvent être citées entre autres, la Commission nationale de l'adoption internationale, le Centre d'accueil et de placement familial de Bamako (Institution publique) et l'Association pour la Survie de la Mère et de l'enfant (ASSUREME).

1770 On note malheureusement nombre de centre d'accueil pour enfants qui fonctionnent sans un agrément dûment délivré par les autorités compétentes

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bien-être et le développement de tout enfant privé de protection parentale et bénéficiant à ce titre d'une protection de remplacement par la mise en place , d'une part, de mécanismes de suivi et d'évaluation périodique du cas pour les enfants placés dans les familles d'accueil et dans les centres d'accueil , et d'autre part, de mécanismes de contrôle périodiques des institutions accueillant des enfants.

Au plan local, les services en charge de la protection de l'enfant disposeront de l'expertise nécessaire à la gestion de la protection de remplacement. Ils travailleront en étroite collaboration avec les services de placement, publics et/ou privés, avec l'autorité policière (recueil de l'enfant, recherche des parents) et l'autorité judiciaire. Ils veilleront à établir des liens de collaboration avec tous les autres services devant apporter leur contribution à la prise en charge temporaire et de longue durée des enfants (services de santé et nutrition, services de réhabilitation pour les enfants porteurs de handicap et autres).

Le concours des associations serait sollicité dans la prévention de toutes formes de séparation familiale et dans l'élaboration de perspectives de solutions, et ce, en parfaite collaboration avec les autorités chargées de la protection de l'enfant. Ces associations contribueraient ainsi à l'instauration d'interventions en vue de :

- la sensibilisation des communautés et des parents sur le droit de l'enfant à la vie familiale et communautaire, sur les risques inhérents à la pratique du placement des enfants, sur les conséquences néfastes de la vie en institution pour l'enfant et la famille et sur la possibilité de fonctionner comme famille d'accueil ;

- l'identification et le soutien des familles à risque de séparation et ;

- la facilitation de l'accueil temporaire de tout enfant, y compris l'abri d'urgence, sous l'ordre et la supervision des autorités de protection de l'enfant.

Les associations s'abstiendront de proposer toute forme d'accueil avec hébergement des enfants en dehors des plans issus des systèmes locaux de prise en charge des enfants élaborés par les autorités compétentes.

Outre l'autorité administrative, le rôle de l'autorité judiciaire dans la protection de remplacement devrait être renforcé.

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L'autorité judiciaire en charge de la protection de l'enfant est la seule habilitée à décider et formaliser le placement provisoire et le placement de longue durée et à rendre définitive l'adoption d'un enfant à travers une décision de justice1771. Pour ce faire, il convient de veiller à ce que les services de protection spécialisée mettent à la disposition de l'autorité judiciaire, toutes les informations pouvant contribuer à la prise de décision du Juge. Le rôle de l'autorité judiciaire devrait aussi s'étendre aussi au niveau du contrôle des institutions qui hébergent des enfants à la suite d'un placement.

Une autre mesure non moins importante passerait par l'adoption de conditions plus efficaces de lutte contre l'impunité dans le cadre des infractions commises à l'égard des enfants.

§ 3. DES CONDITIONS EFFICACES DE LUTTE CONTRE L'IMPUNITE

Le renforcement de la lutte contre l'impunité1772 se fera via une incitation au recours systématique à la justice pour les infractions commises à l'égard des mineurs (A) et la soumission des enfants à des mesures de protection lors des poursuites des auteurs d'infractions à leur égard (B).

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