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L'effectivité des droits de l'enfant en Cote d'Ivoirepar Arsène NENI BI Université Jean Moulin Lyon 3 - Doctorat en droit public 2018 |
A. UNE INCITATION AU RECOURS SYSTEMATIQUE A LA JUSTICEPour remédier à cette justice en panne, cette mesure aurait pour objectif de soutenir le recours à la justice1773 en matière d'infractions commises à l'égard de l'enfant afin que les infractions pénales commises à l'encontre de ceux-ci fassent l'objet de poursuite. La répression pénale des infractions commises à l'égard des enfants apparait inéluctablement comme un aspect important de la lutte contre la violence ou les atteintes aux droits de l'enfant. En l'absence de toute sanction appropriée, les comportements abusifs aux 1771 CAPELETTI (D.), Accès à la justice et Etat providence, Economica, 1984, p.48 et s. 1772 FIDH-LIDHO-MIDH, Côte d'Ivoire : La lutte contre l'impunité à la croisée des chemins, 2013, 32p. ; KAPIAMBA (G.), « Le rôle des organisations non gouvernementales dans la lutte contre l'impunité », In. FONDATION KONRAD ADENAUER, La justice nationale et internationale dans la lutte contre l'impunité en République démocratique du Congo, Kinshasa, Fondation konrad Adenauer, décembre 2007, pp.101-104. ; Résolution sur la lutte contre l'impunité-CADHP/Rés.344 (LVIII). 1773 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 2011, p.590 ; FRICERO (N.), Les institutions judiciaires, les principes fondamentaux de la justice : les organes de la justice-les acteurs de la justice, Mémentos LMD, 2e édition Lextenso, 2012, p.15. 626 antipodes des règles morales ou juridiques, en arrivent à pervertir durablement les relations familiales et sociales et risquent de perdurer et de se répandre. Aujourd'hui, force est de reconnaitre que la plupart des infractions commises contre les enfants aussi bien en période de guerre qu'en période de paix ne font pas l'objet de poursuites. Cette absence de sanctions judiciaires se doit à une multitude de facteurs. D'une part, le droit coutumier1774 et les mécanismes informels de résolution des conflits (justice des anciens)1775 prédominent souvent en milieu communautaire, car jugés plus adaptés au maintien de la cohésion sociale. D'autre part, la loi pénale reste ambiguë sur certains comportements abusifs vis-à-vis de l'enfant, les justiciables ne font pas régulièrement recours aux autorités judiciaires par manque d'information, de moyens, de confiance et finalement le système de justice ne traite pas systématiquement les cas de violence touchant les enfants, sur la base de considérations d'opportunité et/ou de pression communautaire. Pour être un phénomène complexe et très grave, l'impunité1776 mine l'objectivité du droit. Elle ne peut être ni moralement ni juridiquement acceptable. L'enjeu de la lutte contre l'impunité est la propre existence de l'Etat de droit qui implique une application réelle des règles de droit sans aucune exception, et le sentiment de sécurité des populations. Que vaudraient les droits de l'enfant sans l'Etat de droit, entendu dans son aspect concret, ou opérationnel ? Au-delà de la proclamation des droits fondamentaux dans les ordres juridiques nationaux, « le véritable test de l'Etat de droit se trouve dans l'existence d'une panoplie de procédures et de recours, appuyée sur des institutions, permettant à la victime d'une violation d'obtenir qu'il y soit mis fin et qu'il obtienne une indemnisation le cas 1774 LE ROY (E), « La coutume et la réception des droits romanistes en Afrique noire », In. Bulletin de la société Jean Bodin pour l'histoire comparative des institutions, Bruxelles, De Boeck université, tome 51 : « La coutume », 1990, p.117-150. Droit et Société 51/52, 2002 ; LE ROY (E.), « La formation du droit coutumier », in LE ROY (E.) et WANE (M.) « La formation des droits non étatiques », Encyclopédie juridique de l'Afrique, Tome 1 L'Etat et le Droit, chap. XV, 1982, p.371. 1775 BINET (J.), Afrique en question. Paris. Mame, 1965, p.156 et GONIDEC (P.F), « La place des traditions dans l'appareil d'Etat » in Encyclopédie Juridique, Tome 1, L'Etat et le Droit, 1982, p.233. 1776 JOINET (L.) (dir.), Lutter contre l'impunité. Dix questions pour comprendre et pour agir. Ed. La découverte sur le vif, mars 2002, 144p. ; MARIA DOS REMEDIOS FONTES SILVA, « La question de l'impunité des auteurs de violations des droits de l'homme », Principios V.6 (1998) : 139-145. ; ANDREU-GUZMAN FEDERICO, « Impunité et droit international. Quelques réflexions historico-juridiques sur la lutte contre l'impunité », Mouvements 1/2008 (n°53), p.54-60. 627 échéant »1777. Sous la diversité des expressions, l'idée maitresse est que le droit pour un citoyen d'obtenir d'un juge la défense de ses droits, constitue le noyau de l'Etat de droit, la condition de son effectivité. Il est l'outil qui permet à l'Etat de droit, à la fois, d'exister et de fonctionner car « la dimension procédurale de l'Etat de droit a permis d'optimiser la protection des droits et libertés et elle a logiquement eu pour conséquence de revaloriser l'office du juge »1778. Pour l'enfant victime, l'impunité traduit une absence de points de repère et induit l'impossibilité de se structurer par rapport aux évènements. De plus, il est prouvé qu'en dépit de son caractère éprouvant, une procédure judiciaire répondant aux attentes de la victime, achève d'avoir une influence positive dans son processus de reconstruction et notamment en ce qui concerne l'estime de soi. Ainsi, en vue d'une lutte efficace contre l'impunité aux fins de faire régner un véritable Etat de droit, plusieurs conditions cumulatives et indispensables doivent être réunies : la définition claire et précise des infractions commises contre l'enfant, l'accès des justiciables à la justice1779 et un meilleur fonctionnement de l'Institution judiciaire. L'atteinte de ces objectifs fondamentaux doit être constamment au coeur des politiques sectorielles de sécurité et de la justice en Côte d'Ivoire. Les acteurs de la protection de l'enfant doivent jouer leur partition dans l'atteinte de ces objectifs ; Concrètement, ils doivent faciliter la compréhension par les populations, de la nécessité de recourir aux institutions judiciaires et d'exiger des procédures efficaces en matière de justice. Pour ce faire, les acteurs doivent renforcer leur contribution à la vulgarisation et à la diffusion1780 des textes de loi en vigueur, à la sensibilisation des autorités 1777 MORIN (J-Y), « l'Etat de droit : émergence d'un principe du droit international », In. Recueil des Cours de l'Académie de Droit international (RCADI), 1995, p.28. 1778 CAPPELLETI (M.), Le pouvoir des juges, Economica, collection Droit public positif, 1990, p.397. Voir aussi GARAPON (A.), La question du juge, Pouvoirs, 1995, n°74, p.13-26. 1779 Pour le Professeur J. MORAND-DEVILLERS, Le droit d'accès au juge indique « la place de l'Etat de droit au sein d'une société », voir, son ouvrage, MORAND-DEVILLERS (J.), Cours de droit administratif, Motehres Tien, Paris, 2005, pp.706-709. ; GUIMDO DOGMO (B-R), « Le droit d'accès à la justice administrative au Cameroun. Contribution à l'étude d'un droit fondamental », In. Revue africaine des sciences juridiques (RASJ), vol 4, n°1, 2007, p.171. ; SAWADOGO (F.M.), « L'accès à la justice en Afrique francophone : Problèmes et perspectives. Le cas du Burkina Faso ». RJPIC, n°2, 1995, p.168. 1780 TAGODOE (A.), « Diffusion du droit et Internet en Afrique de l'Ouest », Lex Electronica, vol.11, n°1(Printemps/Spring 2006, disponible http://www.lex-electronica.org/articles/v11-1/tagodoe.htm ( Consulté le 21/06/2017). 628 traditionnelles et des communautés aux objectifs poursuivis par le droit positif1781, à soutenir et appuyer les familles dans leurs démarches auprès des organes de justice, par le biais du conseil juridique et de l'assistance psychosociale. Bien que la répression apparaisse comme un aspect fondamental de la question, tout cas de protection de l'enfant consécutif à une violation ou une violence à son égard ne saurait se limiter à l'application d'une sanction à l'auteur de l'acte incriminé. Qui plus est, peuvent être aussi dévastateurs pour l'enfant que la commission de l'infraction elle-même, des actes préparatoires ou des comportements antérieurs à la commission. Cette mise en garde apparait plus qu'opportune afin de faire primer l'intérêt en toute circonstance et que la priorité soit pareillement accordée à la prise en charge du traumatisme de l'enfant. Déclinée dans les conditions sus-évoquées, la sensibilisation au recours à la justice pour les infractions commises à l'égard des mineurs contribuerait à la lutte contre l'impunité. Cette lutte devrait aussi prendre en compte la protection des enfants au cours des procédures de poursuite des auteurs. B. LA SOUMISSION DES ENFANTS A DES MESURES DE PROTECTION LORS DES POURSUITES Il s'agira ici de protéger les enfants participant à des procédures judiciaires en qualité de victimes contre l'effet dévastateur de la double victimisation. Le recours à la justice et le droit à une procédure judiciaire respectueuse des besoins de l'enfant doivent être véritablement des voies de droit ouvertes et disponibles1782 pour tout 1781 HENRI CAPITANT définit le droit positif comme étant « le droit qui est en vigueur » (CAPITANT (H.), Introduction à l'étude du droit civil, 4e édit., Paris, 1925, p.32. ; JULLIOT DE LA MORANDIERE le définit comme « le droit appliqué en fait », « l'ensemble des faits qui gouvernent en fait à une époque donnée une société humaine déterminée » (Introduction à l'étude du droit civil français, Paris, 1951, p.173). ; Carbonnier le définit comme « le droit effectivement appliqué dans l'Etat et dans le moment où l'on se trouve »( Droit civil, 1935, p.24.) ; Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD le définissent aussi comme l' « Ensemble des règles juridiques en vigueur dans un Etat ou dans la communauté internationale, à un moment donné, quelle que soit leur source. C'est le droit « posé », le droit tel qu'il existe réellement ». Cf. GUINCHARD (S.) et DEBARD (T.), Lexique des termes juridiques, 23e édition, Dalloz, 2015, p.402-403. 1782 Selon la jurisprudence Anuak Justice Council c. Ethiopie ( Com./299/2005), la Commission considère qu'un recours est disponible « si le requérant peut le poursuivre sans empêchement ou s'il peut l'utiliser dans les circonstances entourant son cas » En un mot, il s'agit de s'assurer que le recours est sans entrave, qu'il est actuel et comporte en son sein les éléments de son opérationnalité. 629 enfant victime. En un mot, la justice pénale doit aussi protéger et respecter les enfants en leur qualité de victimes. Pour assurer la protection judiciaire des enfants victimes, l'institution d'un système juridique global et cohérent s'avère fondamentale. En effet, les procédures judiciaires doivent être engagées dans des conditions propices au respect de la dignité de l'enfant. Elles doivent être déployées de sorte à éviter d'infliger une expérience grave et traumatisante à l'enfant victime. Dans ces procédures, devront être prises sérieusement en compte, le traumatisme1783 résultant de l'abus1784, l'état de stress de la victime et de ses parents ainsi que la nécessité de protéger la sécurité et la vie privée1785 des victimes et de leurs familles. En effet, l'absence ou la non application de procédures policières et judiciaires spécialisées et appropriées entrainerait une double victimisation de l'enfant et l'intensification de son traumatisme. Dans cette perspective, il apparait impérieux que le système juridique national inclut ou incorpore des dispositions procédurales visant à protéger la dignité, la vie privée et la sécurité de l'enfant victime. En particulier, les procédures d'audition1786 de l'enfant devront non seulement être réduites au maximum, mais aussi préserver les conditions de confidentialité et être pilotées par des professionnels spécialement formés à cette fin et assurer qu'il n'y ait pas de contact de l'enfant avec l'auteur présumé. 1783 OQUENDO, Maria A., MILLER, Jeffrey, M., SUBLETTE, Elizabeth, « Neuroanatomical Correlates of Childhood sexual abuse: identifying biological substrates for Environmental effects on clinical phenotypes » in The American Journal of Psychiatry, 2013, Vol. 170, Issue 6, p.574-577. 1784 PUTNAM (F.), « Ten-Year research update review : child sexual abuse », in Journal of the American Academy of child and adolescent psychiatry, Mars 2003, vol.42, Issue 3, p.269-278. ; TERR, LENORE (C.), « Childhood traumas: an outline and overview » in America Journal of Psychiatry, Janvier 1991, Vol. 148, Issue 1, p.10-20. 1785 Article 10 : « Aucun enfant ne peut être soumis à une ingérence arbitraire ou illégale dans sa vie privée, sa famille, son foyer ou sa correspondance, ni à des atteintes à son honneur ou à sa réputation, étant entendu que les parents gardent le droit d'exercer un contrôle raisonnable sur la réputation, étant entendu que les parents gardent le droit à la protection de la loi contre de telles ingérences ou atteintes ». Sur la notion de vie privée, lire IVANA ROAGNA, « La protection du droit au respect de la vie privée et familiale par la Convention européenne des droits de l'homme », Série des précis sur les droits de l'homme, n°1 Direction générale des droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Strasbourg, 2012, 116p. 1786 BERTHET (G.), MONNOT (C.), « L'audition du mineur victime. Recueil de la parole de l'enfant par la police », Enfances & Psy 3/2007 (n°36), p.80-92 disponible sur www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2007-3-page-80.htm. (Consulté le 21/03/2017); CREMIERE (M.), L'audition de l'enfant victime, in Journal du droit des jeunes, 2013/7 (n°327), pp.40-51. 630 |
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