CONCLUSION GENERALE
Cette étude a permis de renouveler le débat
autour de la trop controversée notion de droits de l'enfant à
cette époque où les droits de l'homme connaissent un regain
d'intérêt. Elle a abouti à l'appréhension de son
sens et de son contenu aussi bien théorique qu'empirique.
Tels que définis et encadrés par les instruments
internationaux les concernant et précisés par les textes
nationaux, les droits de l'enfant ont fait l'objet d'une adaptation nationale
à la suite de leur ratification ou de l'adhésion de la Côte
d'Ivoire à ces instruments.
L'architecture actuelle de la protection de ces droits telle
qu'elle est élaborée par les autorités nationales permet
d'en donner une vision formelle susceptible de rendre crédible
l'exercice d'une telle protection. Des mécanismes de garantie prescrits
par les normes internationales mises en oeuvre à travers un dispositif
institutionnel complexe et souvent fort éloignée de la dimension
concrète de ces droits , renforce le formalisme de cette protection. La
recherche tente de montrer que, par le simple effet de la participation de la
Côte d'ivoire à ces normes et de leur réception nationale
selon les procédures requises et au moyen de garanties
appropriées, l'effectivité des droits de l'enfant pourrait
être considéré comme réalisée.
Il n'en est rien. Certes, l'un des grands enjeux de la
question de l'effectivité des droits de l'enfant en Côte d'Ivoire
réside d'abord dans la reconnaissance nationale de l'ensemble des normes
proclamant ces droits et assurant leur protection. Les analyses qui viennent
d'être développées se sont dès lors attachées
à suivre le « fil d'Ariane » que représente la question
fondamentale de l'intégration dans le droit national ivoirien de ces
normes internationales de protection.
Les deux moments essentiels de cette intégration qui
constituent autant de « cailloux blancs » pour le petit poucet
observateur ressortent clairement de ce qui vient d'être dit, à
savoir : une phase de participation internationale de la Côte d'Ivoire
aux divers instruments internationaux, universels et régionaux, et une
seconde dite de détermination nationale, au cours de laquelle les
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droits internationaux font l'objet d'une transcription
nationale, placée sous le respect des exigences constitutionnelles du
pays. De même, des mesures nationales d'accompagnement, notamment d'un
point de vue juridique et institutionnel sont prises pour traduire la
réalité juridique de l'existence de ces droits dans le droit
ivoirien.
Il n'est pas contestable pour autant que cette « image
juridique » qui peut attirer le respect devant l'importance des
engagements et la volonté de leur concrétisation n'est pas des
plus nette. Ne permettant qu'une présentation théorique, elle est
marquée par d'importantes limites quant à l'impact de ce
système juridique des droits de l'enfant sur la réalité de
leur respect.
L'analyse par l'étude du jeu des divers acteurs de la
protection, étatiques et non étatiques, le contexte de crise qui
a profondément et probablement, durablement marqué le pays au
cours des dernières années, conduisent dès lors à
soumettre cette approche formelle aux constatations du terrain. A cet
égard, les manifestations diverses des atteintes multiformes aux droits
de l'enfant, que celles-ci soient d'ordre général comme la
banalité du quotidien le montre souvent, ou qu'il s'agisse plus
gravement des violations envers des droits particulièrement
protégés, c'est le constat d'ineffectivité qui tente
à s'imposer. Il est vrai que pour une catégorie vulnérable
du droit telle que l'est celle des enfants, tous les droits qui leurs sont
reconnus, soit directement, soit par la voie d'obligations à la charge
des Etats, tous les droits doivent être considérés comme
protégés. Néanmoins, le Protocole facultatif à la
Convention relative aux droits de l'enfant concernant l'implication des enfants
dans les conflits armés, envisage une protection spéciale soumise
au contrôle international et qui devrait à ce titre être
respecté. L'on est cependant en cette matière, au vu de
l'histoire récente de la Côte d'Ivoire et des soubresauts
sociopolitiques d'une grande partie de l'Afrique de l'ouest, très loin
de la réalité concrète. Il en est de même de la
situation évoquée au plan régional par la charte africaine
des droits et du bien-être de l'enfant qui prévoit
également une protection spéciale élargie aux cas
très divers d'enfants en conflit avec la loi, enfants des rues ou
enfants dans les rues selon les conceptions, enfants subjugués par des
situations décrites dans l'étude, à l'extérieur ou
à l'intérieur des institutions d'encadrement et en tant que tels
susceptibles d'être en danger, devraient conduire à une protection
renforcée.
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Or, cette réalité d'ineffectivité traduit
le fait que des lacunes importantes existent toujours dans la prise en charge
des enfants en Côte d'Ivoire, dans le cadre de leur famille relativement
instable ou démunies, dans le cadre des établissements d'accueil,
dans la rue, et même lorsque l'Unicef intervient dans certaines
circonstances, dans le centre de transit et de réinsertion qui sont
mises en place. Les scandales d'agression sexuelle d'enfants ou
d'enlèvement et assassinats d'enfants continuent de défrayer la
chronique et l'on ne peut faire que le constat de l'impuissance de l'ensemble
de la société à agir.
Le second enjeu de la question étudiée apparait
donc ici clairement dans la mesure où elle conduit à
apprécier l'effectivité des droits de l'enfant à
l'épreuve des réalités locales. Les manifestations que
décrit la recherche montrent les limites de cette effectivité
mais, elles conduisent également au crible du concret de
préconiser un certain nombre de mesures qui pourraient renforcer
l'application efficace des règles de protection et renverser ainsi le
prisme négatif de l'ineffectivité.
Le « fil d'Ariane » qui aura servi de fil conducteur
de l'analyse débouche ainsi, à la manière du
théâtre d'ombre que constitue le « mythe de la caverne »
de Platon à une nouvelle étape qui marquerait, dans le cadre de
nouvelles institutions politiques et sociales de la Côte d'Ivoire, un
nouveau départ pour les droits de l'enfant. Du moins, peut-on
l'espérer !
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