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Réglementation des conflits fonciers dans la coutume songopar NGWADI serge MUBWA Université de kikwit - Droit privé judiciaire 2023 |
3. Les conflits des terres héritéesLe régime de succession est matrilinéaire dans le territoire de Bulungu, c'est-à-dire que les biens se transmettent aux enfants de sexe féminin qui doivent se les partager de façon équitable. Ceci renforce la cohésion de la nucléaire au détriment de la famille élargie. Il arrive souvent qu'à la mort de la mère, certains de ses enfants de sexe féminin soient encore trop jeunes ou mineures pour hériter les terres du de cujus. Ainsi, la fille aînée du de cujus cherchera à occuper une grande partie des terres au détriment de ses soeurs et c'est cette situation qui sera à l'origine des conflits plus tard. 4. Les conflits fonciers dus au non paiement de redevance coutumièreLa redevance coutumière est une obligation résultant d'un accord foncier coutumier entre l'ayant droit foncier et l'exploitant agricole par lequel ce dernier s'engage annuellement ou par campagne agricole de donner à l'ayant droit une quantité des biens déterminés selon les usages et coutumes du milieu. Il importe de relever que le paiement desdites redevance est parfois source des conflits entre les ayants droit, surtout lorsque ces redevances sont payées par les personnes morales qui exploitent les terres des communautés locales. En effet, dans la conception coutumière Songo, la terre appartient au clan et celui-ci est composé des lignées. Mais il arrive des fois que certains lignés se trouvent méconnus dans le partage des redevances coutumières, d'où les conflits naissent entre les lignés du même clan. Mais aussi, les conflits fonciers peuvent naître entre l'exploitant et les ayants droit suite au non paiement des redevances coutumières. Dans la majorité des cas, après une longue période d'exploitation, l'exploitant refuse de remettre la terres aux ayants droit foncier en se basant sur principe la réglementation foncière qui stipule que « la terre appartient à celui qui la met en valeur71(*) », utilisant des fois son influence politique ou foncière. §2. Les causes des conflits fonciersPlusieurs faits peuvent constituer les causes des conflits fonciers, il en est ainsi de la vente des terres (A), la croissance démographique (B), l'absence des mesures d'application de la loi foncière (C), le manque de délimitation correcte des terres coutumières (D), les contestations privées de décisions judiciaires (E), et en fin, les mésententes entre les exploitants et les ayants droit foncier (F). A. Vente des terres La terre étant coutumièrement une propriété collective apportant aux vivant et aux morts et à ces maîtres, personne ne peut aliéner seul la terre. Malheureusement, de nos jours, la terre est devenue un bien fort recherché72(*). Le professeur Gaston KALAMBAY Lupungu explique cette inaliénabilité du sol ou de la terre en ces termes,"qu'en effet, dans la conception négro-africaine, par conséquent dans la conception bantoue, La terre n'est pas uniquement un "bien formel" susceptible de fournir à son propriétaire certaines économiques. La terre est sacrée. Elle est sacrée parce qu'elle est la nourricière des vivants. Elle est sacrée, parce qu'elle porte la demeure de ceux qui vivent et qu'elle est le domicile des ancêtres morts, avec lesquels elle se confond. Ainsi conçue, dans la pensée traditionnelle authentique, la terre ne peut qu'être inaliénable. Car, qui parmi les vivants pourrait oser "vendre " la tombe de ses ancêtres et de surcroît à des étrangers ?73(*) La seule vente autorisée par la coutume est la vente des droits d'usage et de jouissance. Un exploitant ayant obtenu un droit d'usage sur une parcelle et y ayant fait une plantation peut également céder son droit à un tiers. La question de la vente du sol est délicate ou cruciale dans la mesure où elle n'est reconnue comme légitime, ni par la loi, ni par les principes fondateurs de la coutume. Force est cependant de constater qu'il existe une pratique de vente de la terre attestée par des documents écrits et signés à la fois par les parties et les autorités coutumières. Cependant, les modalités de ces contrats sont très peu détaillés et ne précisent pas toujours la portée ni les limites de l'engagement ainsi souscrit. La confusion demeure donc entre les ayant droit qui considèrent avoir vendu un droit d'usage et les acquéreurs pensant avoir acquis un droit de propriété. Les interprétations divergent quant à savoir, est-ce que les pratiques de vente reflètent une évolution de la coutume ou une pratique contradictoire à la coutume ? Il arrive de fois que la vente de la terre soit faite par le chef du clan sans que ce dernier puisse obtenir au préalable l'approbation de tous les membres du clan, mais aussi lorsqu'un membre du clan procède à la vente de la terre sans le consentement de tous les membres du clan ou de la lignée, c'est ce qui donne naissance à des conflits fonciers. A. La croissance démographique Le fort taux de naissance occasionne de plus en plus la croissance de la population sur une terre. Du coup, la terre à cultiver devient de plus en plus rare et insuffisante pour répondre aux besoins de la population toute entière. L'agriculture traditionnelle avec sa pratique des feux des brousses est à la base de l'appauvrissement de la terre, l'agriculture moderne avec l'utilisation des engrais et pesticides, et les femmes brûlent les herbes pour travailler leurs champs plus facilement, les hommes mettent le feu dans la brousse pour lever les rares gibiers, etc. Cette continuelle destruction des réserves des matières organiques contribue de façon significative à la baisse de fertilité et de la productivité de ces sols, en particulier ceux dont la fraction argileuse est dominée par des minéraux du type kaolinite74(*). Ce qui pousse les hommes à convoiter les terres des autres, suite à la dégradation de la qualité de leur propre terre. Cette situation rend problématique le rapport entre les hommes et la terre, ce qui génère des conflits. Ainsi, les besoins de tous ces membres ne sont pas satisfaits. C'est ce qui génère des conflits fonciers75(*). B. L'absence des mesures d'application de la loi foncière Le fait de déclarer les terres occupées par les communautés locales, terres domaniales76(*) et sans prendre l'ordonnance annoncée à l'article 389 de la loi foncière pour préciser les droits de jouissance des communautés locales, reste un malaise constaté dans l'occupation foncière. À ce sujet, G. MATONDO relève que, la réforme de la loi foncière de 1973 ayant consacré l'appropriation étatique de tout le sol congolais, les particuliers n'étant plus titulaires que des concessions perpétuelles (personnes physiques congolaises) ou ordinaires (étrangères et personnes morales) a aboli le dualisme foncier entre le droit coutumier et le droit écrit. Ce pendant, bien que théoriquement la loi attribue la propriété du sol à l'État, mais dans la pratique, les communautés locales se comportent en véritables titulaires des terres qu'elles occupent. Il paraît donc évident qu'il y a nécessité d'un texte juridique réglementant les droits de jouissance individuelle et collective sur les terres coutumières pour mettre fin aux désordres et conflits fonciers observés dans les milieux ruraux. C. Le manque de délimitation correcte et harmonieuse des terres coutumières À l'origine, les limites des terres des communautés locales étaient naturelles et elles correspondaient à des cours d'eau, ravins, arbre, collines, etc. La faiblesse de ces limites est que parfois elles disparaissent au fil du temps, c'est le cas notamment des cours d'eau qui peuvent sécher, les arbres qui peuvent être abattus et le tout peut être couronné par le décès des voisins limitrophes qui sont dépositaires authentiques de la tradition. Cette situation est à la base de beaucoup de conflits dans le territoire de Bulungu. En effet, il existe plusieurs cas où l'on constate que les membres d'un clan ou d'un village violent les limites séparant leur domaine à celui du voisin, en allant cultiver ou abattre des arbres dans ledit domaine. D. Les contestations privées de décisions judiciaires L'autorité de la chose jugée interdit aux parties de porter en justice une affaire déjà jugée, sous réserve qu'il s'agisse de la même demande, entre les mêmes parties, agissant en les mêmes qualités, portant sur le même objet, soutenue par la même cause. Une telle demande se heurtera à une fin de non recevoir tirée de la chose jugée77(*). Il convient de noter que la violation de l'autorité de la chose jugée par les parties constitue une des causes de conflits fonciers. En effet, il est fréquent de constater que les conflits fonciers ayant déjà fait objet d'un jugement coulé en force de chose jugée rebondissent, soit par la mauvaise foi de la partie succombant, soit parce que la partie succombant estime que la décision rendue ne reflète pas la réalité historique. Et partant devant les tribunaux coutumiers traditionnels, le juge s'arrangeait à trouver les éléments de preuve de façon à rendre un jugement définitif qui mettrait fin au conflit. Et d'une manière générale, lorsqu'un jugement était rendu, il n'y avait pas de recours parce que les justiciables avaient confiance à ceux qui les jugeaient et les considéraient comme les détenteurs de la coutume et de la sagesse. Cette confiance réciproque existait entre les juges et les justiciables dans l'harmonie communautaire coutumière78(*). E. Mésentente entre les exploitants et les ayants droit fonciers Comme maintenant, la terre fait l'objet d'un commerce florissant, les ayants droit et leurs exploitants (anciens esclaves) y sont impliqués. Mais ce commerce juteux devient source des mésententes entre les ayants droit et les anciens esclaves. Cette mésentente est due notamment à la mauvaise foi d'un ancien esclave qui réclame être le vrai ayant droit de la terre de son ancien maître * 71 X, organisation foncière chez les Songo « revue de droit et des sciences politiques au Graben CEJAN n°4/ décembre 2007, p.31. * 72 A. KIANI KALUMBULA, Du dualisme juridique dans la gestion du domaine foncier en République démocratique du Congo, UCG, 2002-2003, mémoire, inédit, p.15. * 73 G. KALAMBAY LUPUNGU, Droit civil, régime foncier et immobilier, vol.II , Édition Esperance, Paris, 2021,p.70. * 74 KALAMBAY, Cours de droit de l'environnement, Université Kongo, faculté de droit, PUK, 2019-2020, p.119, inédit. * 75 J. MUMBERE KINANGA, op.cit., p.34. * 76 Article 387 de la loi foncière. * 77 S. GUINCHARD et T. DEBARD, Lexiques des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2019-2020, p.236 * 78 J. MUMBERE KINANGA, op.cit. , p.19. |
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