15 §2. Délégation des fonctions du
procureur aux agents du bureau
Sous ce paragraphe, les personnes au profit desquelles cette
délégation est effectuée retiendront notre attention dans
le premier point. Il s'agit des enquêteurs (A) et ce, dans le sens cadre
de la protection des témoins devant la CPI car leur champ d'action est
large. Et dans le second point, nous étudierons la première
information qu'ils doivent donner aux témoins (B).
A. Les enquêteurs
Le premier contact de la cour avec les témoins se fait
par les enquêteurs. Le rôle des équipes d'enquêteurs
sur le terrain, lorsqu'elles prennent contact avec les témoins
potentiels, est donc crucial quant à la sécurité de ces
derniers.
C'est leur capacité à agir avec
discrétion et de façon professionnelle tout au long de la
procédure, à chaque fois qu'ils rencontrent le témoin ou
lui fournissent des informations, qui va déterminer la
sécurité future du témoin25
Les équipes du procureur ou de la défense
sélectionnent les témoins qu'elles entendent faire
témoigner au procès. La DATV n'a aucun contact avec ces
témoins avant que les équipes du procureur ou de la
défense ne l'aient informé qu'un témoin est appelé
à comparaître et n'établisse contact.
Les assistants du procès, de l'unité
d'opération, assignés à un procès, sont les points
de contact entre la Division et le Procureur.
Les enquêteurs doivent remplir un formulaire sur chaque
témoin à l'attention de la Division. Les catégories des
renseignements contenus dans ce formulaire comprennent :
> L'identité complète ;
> Le statut marital ;
> La famille ;
> Les lieux de résidence ;
> L'éducation ;
> L'expérience professionnelle ;
> Le profil médical ;
25 www.ccc-cpi.int, « c'est dans ce sens
que la cour pénale internationale développe des manuels de bonne
conduite sur la procédure de contact avec les témoins ».
> Les finances ;
> Les biens dont il est propriétaire ;
> Les assurances ;
> Le casier judiciaire26
Au niveau du Bureau du Procureur, dans chaque dossier, un
coordinateur des témoins s'occupe de coordonner la présence des
témoins et de s'organiser avec la DATV.
Les équipes d'enquêteurs, par le biais du procureur,
demandent alors les mesures de protection à la chambre
préliminaire.
B. L'information des témoins
D'après Eric STOVER27, de nombreux
témoins ne sont pas informés correctement, et beaucoup d'entre
eux sont encore dans l'ignorance en arrivant à la Haye, notamment sur le
type des mesures de protection qu'ils peuvent demander et sur la
procédure du témoignage devant la Cour. D'après lui, ce
manque ou déficit d'information incombe aux équipes
d'enquêteurs. « En effet, poursuit-il, ce sont eux qui ont le
premier contact avec les témoins, la DATV n'entre en jeu qu'à
partir du moment où elle est informée par le Bureau du Procureur
qu'un témoin est appelé à comparaître ».
L'information des témoins et leur capacité
à appréhender les mesures de protection, ou le procès en
général, dépend du niveau d'instruction de chacun d'eux.
Cependant, il est du devoir des enquêteurs, en premier lieu, de
préparer le témoin à son témoignage.
Cette préparation commence dès le premier contact
et doit être approfondie juste avant le témoignage.
Lors du premier contact, les enquêteurs se retrouvent face
à des témoins qui ont des réticences à venir
témoigner, en raison des craintes pour leur sécurité.
Les témoignages étant particulièrement
importants pour l'équipe du Procureur, par exemple, pour prouver les
chefs d'accusation les enquêteurs doivent persuader le témoin de
venir témoigner, tout en le rassurant en lui expliquant les
possibilités de protection.
26 « les témoins devant la CPI » disponible sur
http : //
www.iwpr.net.
27 STOVER Eric, « witnesses and the promise of
justice in Hague», in Stover Eric, Weinstein Harvey M. (eds.), My
Neighbour, My Enemy: Justice and community in the Aftermath of atrocities,
Cambridge, Cambridge University Press, 2004, pp.104-120.
C'est lors de cette négociation qu'il faut être
attentif à ne pas donner de fausses illusions au témoin, à
ne pas lui faire de promesses sur ce qu'il pourra obtenir, à ne pas
monnayer son témoignage.
Tout en étant honnêtes avec le témoin, les
enquêteurs doivent faire en sorte d'obtenir les témoignages
nécessaires à leurs preuves. Cette honnêteté doit se
traduire dans la meilleure information possible des témoins, pour
relativiser cette situation de pression où se trouve le
témoin.
Au moment des premiers contacts, les enquêteurs doivent
informer le mieux possible les témoins du système de la CPI, du
procès dans lequel ils vont témoigner, de la procédure du
témoignage, des mesures de protection qu'ils désirent demander,
et leur bien expliquer que ce sont les juges qui décident en dernier
lieu.
La DATV, lorsqu'elle prend contact avec le témoin par
la suite, poursuit cette sensibilisation des témoins.
Ensuite, une fois arrivé à la Haye, le
témoin est pris en charge par la DATV qui devra tout faire pour que le
témoin se sente dans un climat de confiance, ce qui passe
également par une information maximale.
Mais il reste encore crucial que les avocats de la
défense ou les procureurs préparent leurs témoins, le
mieux possible à leur témoignage. Certains prennent
énormément de temps pour retravailler avec le témoin son
témoignage, ce sur quoi il va porter, sur quoi il ne va pas porter et
pourquoi, lui montrer la salle d'audience et lui expliquer le
déroulement du procès.
Tel a été le cas des témoins en
provenance d'Ituri et contactés par le Bureau du Procureur de la CPI
dans l'affaire, le Procureur C/Thomas Lubanga28.
Il faut également préparer le
contre-interrogatoire de l'autre partie pour que le témoin ne se sente
pas acculé et menacé, ce qui n'est pas du tout évident
même si cela n'était pas fait.
Enfin, il est important de faire un bilan avec le
témoin après le témoignage, autant avec les psychologues
de la DATV, qu'avec les avocats ou les procureurs qui ont suivi le
témoin.
28 Anne ALTHAUS, « Deux décisions
importantes dans les affaires Lubanga et Kony », n° 13, in Recours
Bulletin du GTDV, Londres, 2008, p.4.
Une bonne information des témoins, tout au long de la
procédure, du premier contact à la fin du témoignage, est
donc essentielle pour rassurer le témoin et faire en sorte que
témoigner à la CPI soit une expérience positive pour
lui.
Cela permet également d'éviter les demandes
farfelues de protection et les frustrations ou déceptions, que ce soit
au niveau du témoignage lui-même ou de la protection qu'il peut
obtenir.
Si le témoin est bien informé, il sera conscient
de l'enjeu des mesures de protection et cela jouera en faveur de sa
sécurité et de celle des autres, en évitant par exemple
d'en discuter avec d'autres témoins.
|