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5.3 Droit d'auteurLa question des droits d'auteur n'est pas nouvelle, dans la mesure où le pillage des oeuvres de l'esprit n'a pas attendu Internet pour commencer. Pourtant le réseau risque de lui donner une ampleur inquiétante. Juridiquement, le droit d'auteur se définit comme "la prérogative attribuée à l'auteur d'une oeuvre de l'esprit". Cette prérogative comporte un droit pécunier qui est le droit de tirer profit de l'oeuvre, et un droit moral qui est le droit de l'auteur d'une oeuvre littéraire, artistique, ou scientifique de la divulguer, d'en fixer les conditions d'exploitation et d'en défendre l'intégrité. Le respect du droit moral donne au journaliste une possibilité de contrôle, inaliénable sur l'usage qui est fait de son oeuvre. Toute utilisation de cette dernière ne peut être faite sans son accord préalable. La présence d'une oeuvre sur Internet implique préalablement sa numérisation. Or, un tel acte correspond non seulement à une reproduction de l'oeuvre, mais aussi à son adaptation, du fait de la transformation de données analogiques en données binaires. A cet égard, le Livre Vert de la Commission Européenne sur les droits d'auteur et les droits voisins (Juillet 1995) établit que la numérisation d'une oeuvre doit tomber sous l'empire du droit de reproduction, de même que le chargement de celle-ci sur la mémoire centrale d'un ordinateur. La numérisation d'une oeuvre doit donc être préalablement autorisée par le titulaire des droits. La question qui nous intéresse essentiellement est de savoir si un journaliste qui travaille pour le quotidien d'une presse écrite va pouvoir faire valoir son droit d'auteur quand l'article est transposé sur le support numérique. En effet, Les éditeurs de presse versent volontiers le contenu de leurs publications traditionnelles sur la Toile. Mais quand personne ne demande l'accord des journalistes, procès et négociations se succèdent. Le premier procès qui a été le symbole de la position de la jurisprudence française est le procès des Dernières Nouvelles d'Alsace60(*) (DNA). Février 1998, c'est une première dans la presse française : le tribunal de Grande Instance de Strasbourg donne raison aux journalistes du quotidien alsacien dans le conflit qui les opposait à leur direction sur la rétribution des articles diffusés sur Internet61(*). Le quotidien strasbourgeois diffusait alors gratuitement depuis deux ans une version Web de son journal papier. Pour les syndicats qui ont porté l'affaire devant la justice, la question est de savoir si les journalistes ont des droits sur leur production. A côté d'une rétribution minime, ils réclament surtout d'être associés au produit diffusé. En clair : avoir un droit de regard. Pour la direction, le web constitue un mode de diffusion et non pas une autre publication. L'ordonnance rendue va l'obliger à revoir sa copie et à ouvrir des négociations. Le tribunal a jugé en effet que le " journaliste limite la cession de son droit d'auteur à une première publication, et que la reproduction de l'oeuvre d'un journaliste professionnel dans un autre périodique est soumise à autorisation " . Le 9 avril 1998, les journalistes et la direction finissent par tomber d'accord. Les journalistes percevront 8% des recettes engendrées par les produits payants et 10% de la marge nette des produits gratuits avec un minimum de 200 F pour les permanents et 30 F pour les pigistes . Cette solution sera confirmée dans une seconde affaire impliquant la société de gestion du Figaro Magazine. L'éditeur avait procédé à la publication télématique de ses archives et proposait l'envoi de copies d'articles par fax ou e-mail... sans l'accord de ses journalistes. Devant le tribunal, la défense essayait à nouveau de faire admettre que " l'édition télématique n'est qu'un prolongement de la diffusion du journal ", ne nécessitant pas un nouvel accord des journalistes. Mais, le 14 avril 1999, le Tribunal de grande instance de Paris conclut de manière générale que toute reproduction, " sur un nouveau support résultant de la technologie récente ", à savoir le Minitel, Internet, et sur CD-ROM, exige non seulement une nouvelle rétribution des journalistes mais, surtout, le consentement express des ayants droit62(*). L'enseignement a déjà porté ses fruits puisque la direction des Échos a accepté de négocier le sort des articles de ses journalistes. L'accord autorise l'utilisation gratuite des articles pour l'édition électronique du jour. En revanche, les journalistes recevront une rémunération pour toute consultation des articles tombés dans les archives payantes. Une solution raisonnable : elle ne compromet pas la mise en ligne de la presse traditionnelle. Le Monde a lui aussi passé des accords avec ses journalistes afin d'autoriser une reproduction des articles sur le numérique. Ces accords semblent montrer que les journalistes ne sont évidemment pas hostiles à la publication de leurs articles sur le réseau mais refusent d'être totalement mis a l'écart. * 60 http://www.dna.fr/ * 61 « Ordonnance de l'affaire DNA » ; Juriscom.net ;1998 ; http://www.juriscom.net/txt/jurisfr/da/tgistrasbourg19980204.htm * 162 « Jugement de la société Figaro » ; juriscom.net ; 1999 ; http://www.juriscom.net/txt/jurisfr/da/tgiparis19990414.htm. |