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La gestation pour autrui : etude comparative entre la france et les etats-unis

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par Geoffrey WATRIN
Université de Strasbourg - Master 2 - Droit comparé 2015
  

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Partie 2 : Des fondements conciliables..........................................................................37

I. Les fondements communs aux deux nations 37

A. La prohibition de la traite des êtres humains 38

B. La prohibition de la vente des produits du corps humain 41

C. Le droit à la liberté inclus dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme et du citoyen et le Bill of Rights 44

II. Les principes communs mais disposant d'une interprétation différente 49

A. Le droit au respect de la vie privée / Right of privacy 49

B. La dignité humaine 57

Conclusion..........................................................................................................................65

Bibliographie.....................................................................................................................67

INTRODUCTION

« Mater semper certa est. »

La maternité de substitution, autrement appelée gestation pour autrui, est une pratique qui, notamment depuis ces dernières années, connaît un certain engouement auprès de nombreuses personnes. Cette dernière revêt pour elles l'espoir de pouvoir un jour fonder une famille.

Les motivations qui les poussent à utiliser ce procédé sont diverses. On trouve parmi elles l'infertilité féminine, mais aussi l'échec répété de fécondations in vitro, les risques pour la vie de la mère liés aux complications éventuelles d'une grossesse, ou encore le refus de passer par une procédure d'adoption, jugée à la fois trop longue et complexe, et dont résulte l'arrivée d'un enfant qui n'est génétiquement pas celui des parents d'intentions1(*).A cela il faut également ajouter le cas des couples homosexuels, notamment dans le cas où il s'agit d'hommes, ainsi que celui des célibataires souhaitant établir une descendance.

Bien que les Etats n'aient commencé à s'intéresser juridiquement à ce sujet qu'au cours de ces dernières années, ce mode de procréation est quant à lui bien plus ancien. En effet, les premières références auxquelles on peut se rapporter se trouvent dans l'Ancien Testament, et plus particulièrement dans la Genèse, où il nous est tout d'abord décrit l'histoire d'Abraham et de son épouse, Saraï. Cette dernière, dans l'incapacité d'enfanter, décide d'offrir sa servante à son mari afin qu'il puisse procréer. Il résultera de cette décision la naissance d'Ismaël2(*).

On peut encore citer un autre exemple plus marquant issu de ce même ouvrage, cette fois concernant Rachel et son époux Jacob. Stérile, Rachel n'en souhaite pas moins devenir mère. Elle demande alors à Jacob de procréer avec plusieurs de ses servantes afin de pouvoir adopter les enfants à leur naissance3(*).

Plus proche de nous, il est également possible d'évoquer le cas particulier des afro-américaines esclaves aux États-Unis avant la guerre de Sécession. Ces dernières étaient alors considérées comme des mères de substitution, en ce sens que les enfants qu'elles mettaient au monde devenaient la propriété de leur maître4(*).

Toutefois, une différence notoire est à souligner entreces époques respectives et la nôtre. En effet, si dans l'histoire on utilisait les techniques ancestrales de procréation au travers du rapport sexuel ou de l'insémination artificielle5(*), les progrès de la médecine à partir des années 1970 vont permettre une avancée majeureen matière de procréation médicalement assistée,avec la fécondation in vitro6(*). Le procédé consiste alors à fabriquer un embryon grâce à la rencontre d'un spermatozoïde et d'un ovule pouvant provenir de donneurs en laboratoire, puis de l'implanter dans l'utérus d'une femme. Si le dispositif est particulièrement révolutionnaire et utile pour bon nombre de couples, il aura toutefois des conséquences importantes en matière de gestation pour autrui.

C'est sans doute ce qui poussera de nombreux États, notamment en Europe, à s'interroger sur cette question à partir des années 1970-80. La France, où la pratique commence petit à petit à s'installer depuis 19857(*), n'y fera pas exception. En effet à partir de cette période, plusieurs associations, dont l'objet consistait à mettre en contact de couples infertiles avec des mères porteuses, ont profité de la pénombre juridique en la matière pour se former sur le territoire. Parmi elles, on peut notamment citer Alma Mater etLes Cigognes, qui ont beaucoup oeuvré dans le développement de la gestation pour autrui en France.

Pour éviter toute dérive, les pouvoirs publics français ont très rapidement tenté d'enrayer ce phénomène en essayant de prohiber le recours à la maternité de substitution. C'est ainsi qu'en 1984, le Comité Consultatif National de l'Éthique va émettre un avis négatif au regard de la continuité de cette pratique, en la qualifiant d'illicite. Cet avis a par ailleurs été reformulé en 20108(*). En 1988, le Conseil d'État appuiera cette position à deux reprises. Tout d'abord, au travers d'une étude intitulée De l'éthique au droit, où il sera fait mention de la nécessité de légiférer en matière de procréation médicalement assistée, mais surtout par un arrêt du 22 janvier 1988, visant l'association Les Cigognes.Cette décisionva manifester le ressentiment du Conseil d'État pour la gestation pour autrui, en ce sens qu'il va la considérer comme pénalement répréhensible, en soulignant notamment la provocation à l'abandon d'enfant, les compensations financières perçues par la mère porteuse, ainsi que la sélection des mères porteuses par l'association, avant leur insémination9(*).

C'est dans cette même optique que le 13 décembre 1989, la Cour de cassation va poursuivre la marche vers l'illicéité du recours aux mères porteuses, en prononçant la pire sanction civile qui soit à l'égard d'une association, à savoir la dissolution d'Alma Mater. Pour ceux faire, la Cour se base sur le caractère illicite de son objet, en citant notamment l'article 1128 du code civil10(*).

Ce n'est toutefois que dans son arrêt du 31 mai 1991 que la Cour de cassation va poser la première pierre à l'interdiction de la gestation pour autrui en France. Dans cette affaire, il était question d'un couple dont madame était atteinte d'infertilité. Ce dernier, désireux d'enfanter, décide alors d'avoir recours à une mère porteuse, inséminée artificiellement par le sperme de monsieur. A la naissance de l'enfant, ce dernier est déclaré comme étant celui de l'époux, madame devant procéder préalablement à l'adoption plénière du bébé afin de pouvoir officiellement devenir sa mère. Ce procédé a été dans un premier temps approuvé par la Cour d'appel de Paris, qui reconnaissait « la méthode de maternité substituée » comme « licite et non contraire à l'ordre public »11(*). La Cour de cassation, disposant d'une opinion parfaitement dissidente, va alors y mettre un terme en la qualifiant de contraire à un nouveau principe élaboré par ses soins : le principe d'indisponibilité du corps humain12(*), qui sera étudié plus en détail dans la première partie de ce mémoire.

Cet arrêt de la Cour de cassation aura dès lors deux conséquences sur le droit français. Premièrement, il va contribuer à stabiliser la situation juridique de la gestation pour autrui sur le territoire de la République. Ensuite, il va préparer l'arrivée d'une intervention d'envergure du législateur quelques années plus tard, au travers des premières lois bioéthiques.

Cette dernière, publiée au Journal officiel le 30 juillet 1994, va définitivement fixer la position de la France en matière de maternité de substitution, en donnant naissance à plusieurs nouveaux articles dans le Code civil. Parmi eux, l'article 16-1 qui vise à protéger le corps humain, mais aussi l'article 16-5, qui prohibe les conventions donnant une valeur patrimoniale à ce dernier. Si ces interdictions ne concernent pas directement la GPA, il en va autrement de l'article 16-7 du Code civil qui l'interdit très explicitement, en sanctionnant les conventions qui en découleraient de nullité absolue.

Bien qu'à l'origine, cette loi devait être revue tous les 5 ans, la première révision n'interviendra qu'en 2004, n'apportant aucun changement probant en la matière. En 2009, à l'occasion de la seconde révision de la loi bioéthique, la question s'est à nouveau posée au législateur de savoir si la position de la France devait être modifiée concernant la situation des mères porteuses. De nombreux débats démontrent l'intérêt que les pouvoirs publics portent à cette question, comme en témoigne une étude du Conseil d'État du 9 avril 200913(*), où l'on trouve plusieurs pages consacrées à la procréation pour autrui. De ces discussions va découler la loi du 7 juillet 2011 consacrée à la bioéthique. La réponse qu'elle contient au sujet de la GPA sera sans appel. Ce sera un nouveau refus inconditionnel de légalisation de cette pratique.

Cette position est par ailleurs appuyée par le code pénal, dès sa création en 1810, sous la qualification de « supposition d'enfant »14(*). Cette infraction sera modifiée par l'entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994 sous l'appellation de « simulation d'enfant »15(*). Ce délit consiste à admettre qu'une femme est la mère d'une enfant sans l'avoir mis au monde et sans l'avoir adopté. En d'autres termes, c'est le fait d'admettre qu'elle a accouché de lui sans que ce ne soit le cas. Cette incrimination, en matière de gestation pour autrui, s'adresse donc aux parents d'intentions.

Dans le même esprit, le législateur a souhaité incriminer les personnes ou organismes qui pousseraient une mère à porter l'enfant d'un autre couple en vue de l'abandonner, au travers de la provocation à l'abandon16(*).

Si la position du droit français semble parfaitement claire, il n'en va pas de même en ce qui concerne le droit américain.

En effet, il est bon de rappeler dans un premier temps que la structure des Etats-Unis est bien différente du schéma que l'on peut trouver en France, notamment au travers du fédéralisme qui y règne. Cette forme étatique a des conséquences importantes sur le droit américain, en ce sens que les Etats fédérés bénéficient d'une marge plus ou moins grande pour légiférer sur certains sujets, non réservés au Congrès ou au gouvernement fédéral par la Constitution17(*).

En ce qui concerne la gestation pour autrui, aucun article ni amendement de la Constitution américaine ne prévoit de compétence spéciale attribuée au législateur fédéral. En application du Dixième Amendement du Bill of Rights18(*), c'est donc aux Etats fédérés de prendre les mesures nécessaires.

De ce fait, il est impossible de parler d'un positionnement unique du droit américain sur la maternité de substitution, étant donné que chaque Etat dispose de son propre corps de règles. Toutefois, on peut aujourd'hui mettre en évidence plusieurs groupes d'Etats qui s'accordent selon une gradation particulière.

On trouve tout d'abord, les Etats qui sont formellement contre la GPA. Cette position se manifestepar la nullité absolue de toute convention visant, pour une femme, à abandonner à un autre couple l'enfant qu'elle va porter, mais aussi par la pénalisation de cette pratique. Parmi ces Etats, on retrouve notamment le Michigan etle District de Columbia, où les sanctions s'échelonnent de 10.000 à 50.000$ d'amende, ainsi que d'une à cinq années de prison.

On trouve ensuite les Etats qui acceptent la GPA, mais uniquement sous certaines formes. A ce stade, il convient de préciser qu'il existe sur le sol américain une distinction entre deux types de gestation pour autrui. La première, appelée traditionalsurrogacy, consiste à inséminer artificiellement la mère porteuse. Cela implique que cette dernière sera génétiquement liée à l'enfant à naître. Aux côtés de cette méthode, on trouve ensuite la gestationalsurrogacy. Cette dernière implique que la mère de substitution ne se contente que de porter l'enfant, sans avoir à donner l'un de ses ovules. Elle n'a donc aucun lien génétique avec l'enfant.

En application de cette distinction, plusieurs Etats comme le Nevada, l'Utah ou l'Illinois s'accordent pour interdire la première forme de GPA, mais autoriser la seconde. Cela peut notamment s'expliquer par le risque moins accru que la mère porteuse s'attache à l'enfant, et décide de ne plus transmettre la garde de ce dernier aux parents d'intention.

Par la suite, on peut citer les Etats qui admettent pleinement la pratique de la maternité de substitution, quelque soit sa forme. C'est notamment le cas du New Hampshire et dans une certaine mesure de la Floride.

On trouve encore des Etats où aucune loi ne vient régler la question. Ces derniers constituent une majorité sur le sol américain19(*). Dans ce cas, il appartient aux juges des Cours étatiques de se prononcer sur la question. Dans la plupart des affaires, la réponse s'avère être favorable à la maternité de substitution.

Enfin, parmi les Etats américains acceptant la GPA, il ne faut pas oublier la question de la rémunération des mères porteuses. Là encore, il n'y a aucun consensus sur ce point.

Certains Etats comme la Californie ou le New Jersey sont très permissifs et autorisent que la mère porteuse soit rémunérée pour ses services. D'autres admettentla légalité de la GPA à condition qu'elle soit exclusivement pratiquée à titre gratuit, avec néanmoins une possibilité de remboursement des frais inhérents à la grossesse. Ces Etats sont entre autres l'Oklahoma, le Nebraska ou encore Washington.

Si les Etats-Unis n'ont pas de position unique en la matière, il est toutefois possible, grâce à ces précisions, de dégager une tendance plutôt favorable du droit américain à la gestation pour autrui.

Ce faisant, on constate une certaine opposition entre les législations de ces deux puissances.

Le débat pourrait s'arrêter là. Néanmoins, la récente condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme en 201420(*) a ouvert une brèche en droit français. Dans les faits, il était question de deux couples ayant eu recours à une procédure de GPA, respectivement en Californie et dans le Minnesota. A leur retour en France accompagnés leurs enfants, ces derniers se sont heurtés au refus des autorités françaises de transcrire l'acte d'état civil de leur progéniture. C'est ainsi que de longues procédures judiciaires ont été engagées, jusqu'à la saisine de la Cour européenne des droits de l'Homme en 2011. Celle-ci conclue, en 2014, que la République Française a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme portant sur le droit à la vie privée et familiale, mais uniquement vis-à-vis des enfants des deux couples issus de gestation pour autrui.

Suite à cette décision, la Cour de cassation française a effectué un revirement jurisprudentiel importantpar le biais notamment de deux arrêts, dans lesquels elle casse et annule un arrêt de Cour d'appel qui refusait la transcription d'un acte d'état civil d'un enfant issu de maternité de substitution à l'étranger21(*).

La Cour se montre toutefois prudente au travers de ces décisions, en précisant que ces cassations ne valent bel et bien que pour la transcription des actes d'état civil. Il ne faut donc pas les interpréter comme une position favorable à la gestation pour autrui.

Néanmoins, cette ouverture permet de se poser des questions quant à l'avenir de cette pratique en France. On peut en effet se demander si, à l'instar de l'interruption volontaire de grossesse en 1975, la gestation pour autrui est en phase de s'implanter sur le territoire de la République.

Pour ces raisons, il serait dès lors intéressant de confronter les lois antagonistes de ces deux pays en posant la problématique suivante : est-il envisageable de légaliser la gestation pour autrui en France au regard de la législation américaine ?

En effet, comme le disait Aristophane, « de leurs ennemis, les sages apprennent bien des choses ». En application de cet adage, serait-il alors possible pour la France de tirer des enseignements du droit américain en la matière ?

Ces interrogations sont d'ampleurs car les réponses qui en découleront seront importantes. En effet, selon Jennifer Merchant, deux risques majeurs sont à prévoir si la République française maintient la prohibition de la gestation pour autrui22(*). Le premier est de voir se multiplier le tourisme procréatif, et le second est d'assister à une recrudescence d'enfants à « la filiation incomplète », à savoir sans filiation maternelle officielle.

En France, le pilier sur lequel repose l'interdiction de la maternité de substitution concerne le principe d'indisponibilité du corps humain. Toutefois, il apparaît comme controversable tant il s'oppose à des fondements américains d'envergure (Partie 1). Mais malgré cela, il sera possible de constater que les deux Etats disposent de fondements communs (Partie 2).

Partie 1 : Le principe d'indisponibilité du corps humain : un principe controversable

Le principe d'indisponibilité du corps humain est un principe fondamental en droit français concernant l'interdiction de la gestation pour autrui. Ce dernier, établit par la Cour de cassation dans son arrêt du 31 mai 1991, va servir de modèle lors de l'établissement des lois bioéthiques en 1994.

Comme son nom l'indique, ce principe vise à protéger le corps humain, en ce sens qu'il vient limiter les utilisations que l'on peut faire de son propre corps.Toutefois, selon certains auteurs comme Muriel Fabre-Magnan23(*),il convient de distinguer entre le rapport de soi à soi et le rapport de soi à autrui.

Dans le premier rapport, la personne est dotée d'un certain pouvoir sur son corps, en ce sens qu'elle a le droit de décider ce qu'elle en fait. Cornu parle alors « d'autodisponibilité du corps humain ». C'est en particulier grâce à cela que l'on peut s'adonner à des pratiques dangereuses au péril de sa vie, ou que l'on peut décider librement de mettre fin à ses jours.

Dans le rapport de soi à autrui, la logique est toute autre, dans la mesure où l'on fait intervenir un tiers. C'est ici que le principe d'indisponibilité prend toute son essence. Dans ce nouveau schéma, la volonté de la personne sur son propre corps n'est plus prise en compte. C'est pour ces raisons qu'il est impossible à un individu de demander l'aided'autrui afin de mettre fin à ses jours24(*). On ne parlerait d'ailleurs plus de suicide mais d'euthanasie, voire même d'homicide volontaire dans le cadre du droit français.

C'est précisément dans cette optique qu'intervient la prohibition de la maternité de substitution en France.

A cela, il faut ajouter que ce principe disposed'une application large de par l'existence de certains corolaires, parmi lesquels figure le principe d'extrapatrimonialité du corps humain, inscrit explicitement à l'article 16-5 du code civil.

Ce dernier vise à frapper de nullité toute convention à titre onéreux passée sur un élément ou produit du corps humain. L'idée qui en découle est d'éviter toute exploitation de l'être humain concernant son corps. C'est par ce biais qu'on arrive à protéger les populations les plus pauvres en droit français, afin de les dissuader de vendre certains de leurs organes. C'est également dans une certaine mesure grâce à ce fondement que l'on peut prohiber la gestation pour autrui, mais cette fois uniquement dans sa forme onéreuse.

En droit américain, pour comprendre l'existence de la gestation pour autrui, il faut au préalable préciser que la protection du corps humain s'effectue de manière substantiellement différente. Il n'existe en effet pas de grands principes25(*) ou de règles concrets régissant ce sujet, comme on pourrait en trouver en France.

De ce fait, la Cour suprême des Etats-Unis a très tôt commencé à statuer sur la place du corps en droit. Ce fut notamment le cas dans Union Pacific Railway v. Botsford(1891)26(*), où les juges de la majorité ont décidé « qu'aucun droit n'est plus sacré ou mieux gardé par la Common Law que le droit pour tout individu à la possession et au contrôle de son propre corps, libre de toute limitation ou intervention de la part d'autrui, en dehors de l'autorité claire et incontestable de la loi »27(*). Dès lors, on constate que la réponse donnée par la Cour suprême est quelque peu changeante de celle donnée par la France. En effet, ici l'accent est mis sur la libre disposition du corps par la personne, plutôt que sur sa limitation.

Cette notion d'autodétermination sur son corps, la Cour suprême ne va pas l'abandonner. Elle la rappellera en effet 80 ans plus tard dans la très fameuse affaire Roe v. Wade (1973)28(*), où les juges vont instaurer la possibilité pour les femmes d'avorter. L'argument avancé par les Justices29(*) consistera à dire que les Etats-Unis ne peuvent pas impacter le droit à la reproduction (reproductive right) des femmes.Ici, on constate une autre variante de la protection du corps humain à l'américaine. Alors qu'en France on va chercher à protéger le corps humain vis à vis des autres personnes, aux Etats-Unis on va préférer le protéger contre l'Etat lui-même.

La libre disposition de son corps, certains ont souhaité la pousser à son paroxysme. Ce fut le cas en 1991 avec Moore v. Regents of the University of California30(*). Dans cette affaire, John Moore,alors hospitalisé à l'époque des faits, revendiquait un droit de propriété sur son corps, afin de se voir verser une rémunération quant à une découverte médicale permise grâce au prélèvement de ses cellules. Etant donné que cette avancée avait été brevetée et commercialisée par les chercheurs, Moore arguait qu'il avait le droit d'obtenir un certain pourcentage sur lesgains amassés grâce à ses cellules.

Les Justicesde la Cour suprême de Californie n'ont toutefois pas fait droit à cette argumentation, refusant d'admettre qu'il pouvait exister un tel droit sur son corps. Selon eux, le risque était trop fort de créer un précédent qui laisserait libre cours à l'exploitation des êtres humains pour leurs organes, mais aussi qui impacterait à coup sûr la recherche médicale.

Malgré cette décision, il n'en reste pas moins que le droit de disposer de son corps est important aux Etats-Unis, pour ne pas dire fondamental. Cette perception de la personne permet plusieurs ouverturesen droit américain qui sont simplement impossibles en droit français, du fait de la prééminence du principe d'indisponibilité. Ce sont précisément ces ouvertures qui permettent à la gestation pour autrui d'être admise dans certains des Etats fédérés.

Ces dernières se retrouvent dans plusieurs grandes notions primordiales en droit américain, comme le freedom of contract (I), lamajor life activity (II) ou encore la personal autonomy (III), trois concepts qui contribuent à fonder de manière plus ou moins importante la gestation pour autrui.

* 1R. HENRION et C. BERGOIGNAN-ESPER, Bulletin de l'Académie Nationale de Médecine, 2009, 193, no 3, 583-618, séance du 10 mars 2009 dédiée à la gestation pour autrui.

* 2Genèse (16 :1>16 :4)

* 3Genèse (30 :1>30 :13)

* 4C. SPIVACK, « National Report : The Law of SurrogateMotherhood in the United States »,The American Journal of Comparative Law, Vol. 58, 2010, pp. 97 à 98.

* 5J. HUNTER, chirurgien écossais, réussi à obtenir la première grossesse par insémination artificielle en 1789.

* 6La toute première naissance par FIV n'interviendra toutefois qu'en 1978.

* 7Date de la première naissance par gestation pour autrui en France.

* 8CCNESVS, Avis n°110 sur les problèmes éthiques soulevés par la gestation pour autrui (GPA), 1er avril 2010.

* 9CE, 22 janvier 1988, n°80936.

* 10Article 1128 du code civil : « Il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions ».

* 11Paris, 1re ch. C., 15 juin 1990.

* 12Ass. Plén., 31 mai 1991, pourvoi n°90-20.105 : « Attendu que, la convention par laquelle une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l'abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain qu'à celui de l'indisponibilité de l'état des personnes ».

* 13Conseil d'État, La révision des lois bioéthiques, La Documentation française, Paris, 2009, pp. 60 à 65

* 14Article 345 du code pénal de 1810 : « Les coupables d'enlèvement, de recélé, ou de suppression d'un enfant, de substitution d'un enfant à un autre, ou de supposition d'un enfant à une femme qui ne sera pas accouchée, seront punis de la réclusion criminelle à temps de cinq à dix ans ».

* 15Article 227-13 al.1er du code pénal : « La substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l'état civil d'un enfant est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ».

* 16Article 227-12 al. 1er et 2 du code pénal : « Le fait de provoquer soit dans un but lucratif, soit par don, promesse, menace ou abus d'autorité, les parents ou l'un d'entre eux à abandonner un enfant né ou à naître est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.

Le fait, dans un but lucratif, de s'entremettre entre une personne désireuse d'adopter un enfant et un parent désireux d'abandonner son enfant né ou à naître est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».

* 17C'est ce que prévoit le 10ème Amendement de la Constitution des Etats-Unis d'Amérique, qui dispose que : « The powers not delegated to the United States by the Con- stitution, norprohibited by it to the States, are reserved to the States respectively, or to the people ».

* 18Tout au long de ce mémoire, ce terme ne visera que le Bill of Rights américain.

* 19Parmi ces Etats figurent entre autre l'Alaska, le Colorado, la Géorgie, Hawaï, l'Idaho, le Maine, le Maryland, le Massachussetts.

* 20MENNESSON c. France, CEDH, cinquième section, 26 juin 2014, n° 65192/11et LABASSEE c. France, CEDH, cinquième section, 26 juin 2014, n°65941/11.

* 21Ass. Plén., 3 juillet 2015, pourvoi n° 15-50002 et Ass. Plén., 3 juillet 2015, pourvoi n° 14-21323.

* 22J. MERCHANT, « Procréation et politique aux Etats-Unis : le cas de la gestation pour autrui », Académie nationale de Médecine, La gestation pour autrui, Lavoisier, 2011, p. 223.

* 23M. FABRE-MAGNAN, « Autonomie personnelle, indisponibilité du corps humain et justice sociale », in Liber amicorum en hommage à Antonio Marzal, Esade, Bosch editor, 2008.

* 24Exemple tiré de Pretty c. Royaume-Uni, CEDH, quatrième section, 29 avril 2002, n°2346/02.

* 25Il convient de préciser que certaines juridictions américaines mentionnent la notion de bodilyintegrity, que l'on peut traduire par la notion d'intégrité du corps humain. Ce fut par exemple le cas dans United States v. Lanier (1997), où la Cour d'appel des Etats-Unis du 6ème Circuit a jugé qu'il était nécessaire de protéger le droit de bodilyintegrity à l'égard de cinq femmes qui avaient été violée.

* 26Union Pacific Railway Co v. Botsford, 141 U.S. 250 (1891).

* 27 « No right isheld more sacred or is more carefullyguarded by the common law than the right of everyindividual to the possession and control of hisownperson, free from all restraint or interference of othersunless by clear and unquestionableauthority of law ».

* 28Roe v. Wade, 410 U.S. 113 (1973).

* 29Appellation utilisée aux Etats-Unis pour désigner les juges de la Cour suprême.

* 30Moore v. Regents of the University of California, 499 U.S. 936 (1991).

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